Page:Tourgueniev - Dimitri Roudine, 1862.djvu/299

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

sa première lettre. Je ne puis pas être sa femme ; mais j’ai été heureuse…, non pour longtemps…, j’ai été heureuse !

Besmionkof se détourna.

– Ah ! poursuivit-elle avec vivacité, si vous saviez combien ce Tchoulkatourine m’est odieux !… Il me semble toujours que je vois son sang sur les mains de cet homme.

Je frissonnai derrière ma cachette.

– Du reste, continua-t-elle mélancoliquement, qui sait ? peut-être que sans ce duel… Ah ! quand je le revis blessé, je compris que j’étais toute à lui.

– Tchoulkatourine vous aime, dit Besmionkof.

– Qu’est-ce que cela me fait ? Ai-je besoin de l’amour de qui que ce soit ?… – Elle s’arrêta et ajouta lentement : – Sauf le vôtre ; oui, mon ami, votre amour m’est indispensable. Sans vous, j’aurais été perdue… Vous m’avez aidé à supporter des moments affreux…

Elle se tut… Besmionkof lui serrait la main avec une tendresse paternelle.

– Que faire ? que faire, Lise Cyrillovna ? répéta-t-il plusieurs fois de suite.

– Oui, continua-t-elle sourdement, il me semble maintenant que je serais morte sans vous. Vous seul m’avez soutenue, et puis vous me le rappelez…, car vous saviez tout. Vous souvenez-vous combien il était beau, ce jour ?… Mais pardonnez-moi, ces souvenirs doivent vous être pénibles.