Page:Tourgueniev - Dimitri Roudine, 1862.djvu/30

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il était né de parents pauvres. Son père, qui n’avait occupé que des postes insignifiants, savait à peine lire et écrire, et ne s’était nullement occupé de l’éducation de son fils. Sa mère, qui le gâtait, mourut de bonne heure. Pigassoff s’éleva tout seul. Il entra dans l’école du district, puis au gymnase, apprit le français, l’allemand et même le latin. Étant sorti du gymnase avec d’excellents attestats, il se dirigea vers Dorpat, où il lutta constamment contre la misère, mais où il suivit son cours jusqu’au dernier jour. Il se distinguait par la patience et l’opiniâtreté ; mais c’était surtout le sentiment de l’ambition qui était tenace en lui. Il semblait défier le sort dans son désir d’être introduit dans la bonne société, et de ne pas être dépassé par les autres. C’était par ambition qu’il travaillait assidûment, et qu’il était entré à l’université de Dorpat. La pauvreté l’irritait et développait en lui l’observation et la ruse. Il s’exprimait avec originalité, et s’était approprié dès sa jeunesse un genre particulier d’éloquence bilieuse et amère. Ses pensées ne s’élevaient pas au-dessus du niveau commun, mais il parlait de façon à faire croire qu’il avait beaucoup d’esprit. Parvenu au grade de candidat, Pigassoff résolut de se vouer à l’enseignement, parce que c’était la seule carrière qui lui permettait de marcher de pair avec ses camarades, parmi lesquels il essayait de choisir ses intimes dans la haute société, cherchant à leur complaire et même à les flatter, quoiqu’il ne cessât de médire d’eux.