Page:Tourgueniev - Dimitri Roudine, 1862.djvu/313

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lueur. Après avoir répété deux fois : Vieni, vieni, la voix s’évanouit : j’entendis une légère vibration de cordes, comme si une guitare était tombée sur le tapis ; il y eut un frôlement de robe, le parquet cria faiblement. Les jalousies crièrent subitement sur leurs gonds et s’ouvrirent ; je reculai d’un pas. Une femme de grande taille, toute vêtue de blanc, pencha sa charmante tête hors de la fenêtre, puis, étendant sa main vers moi, me dit : – Sei tu ? – Je ne savais que dire ; mais au même moment l’inconnue se rejeta en arrière en poussant un faible cri, la jalousie se referma, et la lumière disparut.

Le visage de la femme qui m’était apparue d’une manière si soudaine était d’une beauté incomparable. Elle passa trop vite devant mes yeux pour me laisser le temps d’examiner chaque trait en particulier ; mais l’impression générale m’était restée forte et profonde. Je sentis alors que je n’oublierais jamais ce visage. La lune donnait sur le mur du pavillon et sur la fenêtre où elle s’est montrée à moi. Que ses yeux sombres brillaient magnifiquement à cette clarté ! Qu’ils étaient épais, les flots de cheveux noirs à demi dénoués qui tombaient sur ses épaules arrondies !… Quelle pudique volupté il y avait dans la molle cambrure de sa taille ! Quelles caresses dans ce chuchotement précipité et pourtant sonore qui me fut adressé ! Je me rejetai dans l’ombre du mur opposé, et restai là, les yeux levés vers le pavillon, dans l’attente et la perplexité la plus niaise…