Page:Tourgueniev - Dimitri Roudine, 1862.djvu/344

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de si près ses yeux, que je pus observer que la frayeur en dilatait les pupilles. Elle me regarda avec hésitation et me tendit faiblement la main.

– Le 5 mai 184., à Sorrente, dix heures du soir, dans la rue della Croce, lui dis-je à voix lente sans la quitter des yeux ; puis en Russie dans le gouvernement de ***, village de Michaïlovskoë, le 22 juillet 184.

J’avais dit tout cela en français. Elle recula de quelques pas, me toisa de la tête aux pieds et murmura :

– Venez !

Elle sortit aussitôt de la salle. Je la suivis. Nous avancions en silence. Je n’ai pas la force d’exprimer ce que je ressentis en marchant à ses côtés. Magnifique vision qui était devenue tout à coup une réalité ! Statue de Galatée transformée en femme vivante et descendant de son piédestal aux yeux de Pygmalion stupéfait !… Je pouvais à peine respirer.

Elle s’arrêta enfin dans un salon écarté, et s’assit sur un petit divan à côté de la fenêtre. Je me plaçai à côté d’elle. Elle tourna lentement la tête et me regarda d’un air soupçonneux.

– Venez-vous de sa part ? demanda-t-elle.

Sa voix était faible et incertaine. Sa question me troubla quelque peu.

– Non…, pas de sa part, répondis-je avec hésitation.

– Vous le connaissez ?