Page:Tourgueniev - Dimitri Roudine, 1862.djvu/350

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suite, il n’avait presque pas changé. Sa moustache blonde était frisée avec la même grâce ; la même joie tranquille et présomptueuse éclairait ses yeux perçants. Il s’avançait sans se hâter, et, inclinant légèrement sa taille svelte, s’entretenait avec une femme en domino qu’il avait à son bras. Parvenu sur la même ligne que nous, il leva subitement la tête, me regarda d’abord, puis jeta un coup d’œil sur ma compagne. Il la reconnut probablement à ses yeux, car il fronça faiblement le sourcil. Un sourire presque imperceptible, mais d’une ironie cruelle, courut autour de ses lèvres. Il se baissa vers la femme qui l’accompagnait, et lui glissa deux mots à l’oreille. La femme nous embrassa tous les deux dans un regard rapide ; puis, souriant légèrement, elle le menaça de son petit doigt. Il haussa légèrement les épaules ; elle se serra coquettement contre lui…

Je me tournai vers mon inconnue. Elle suivait des yeux le couple qui s’éloignait, et, s’arrachant subitement de mon bras, elle courut vers la porte. J’allais m’élancer sur ses pas, mais elle se retourna et me regarda de telle façon que je ne pus que la saluer profondément et rester à ma place. Je comprenais que la suivre eût été à la fois grossier et stupide.

– Dis-moi, je t’en prie, demandai-je un quart d’heure après à l’un de mes amis qui connaît tout Pétersbourg, dis-moi qui est ce grand bel homme à moustaches ?