Page:Tourgueniev - Dimitri Roudine, 1862.djvu/47

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Pigassoff d’une voix nasillarde, si votre connaissance, M. le baron Mouffel… c’est ainsi qu’on l’appelle, je crois ?

— En effet.

— M. le baron Mouffel s’occupe-t-il spécialement d’économie politique, ou bien consacre-t-il à cette science intéressante les heures de loisir dérobées aux plaisirs du monde et aux devoirs du service ?

Roudine fixa son regard sur Pigassoff.

— Le baron n’est qu’un amateur dans ces matières, répondit-il en rougissant légèrement, mais il a dans son article beaucoup d’aperçus justes et curieux.

— Je ne puis disputer avec vous, car je ne connais pas son travail. Mais, oserai-je le demander ? l’œuvre de votre ami le baron de Mouffel traite plutôt de dissertations générales que de faits, n’est-ce pas ?

— On y trouve des faits et des dissertations générales relatives aux faits eux-mêmes.

— Vraiment, vraiment ! Je vous dirai que, selon moi, — et je puis placer mon mot à l’occasion, ayant passé trois ans à Dorpat, — toutes ces prétendues réflexions générales, ces hypothèses, ces systèmes… excusez-moi, je suis un provincial et vais droit au but, ne valent jamais rien. Ce ne sont que des abstractions ; ce n’est fait que pour égarer les gens. Présentez-moi des faits, messieurs, c’est là votre devoir.

— Vraiment ! répliqua Roudine ; mais ne doit-on pas expliquer le sens des faits ?

— Les dissertations générales ! continua Pigassoff,