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de toucher à une des cordes de l’âme pour les faire vibrer toutes.

Plus d’un auditeur ne comprenait peut-être pas parfaitement, mais sa poitrine se soulevait puissamment, un voile semblait se déchirer à ses yeux, quelque chose de rayonnant lui apparaissait dans le lointain.

Les pensées de Roudine, toutes tournées vers l’avenir, imprimaient sur sa physionomie un éclat de jeunesse impétueuse.

Debout près de la fenêtre, ne regardant personne, il parlait, inspiré par la beauté de la nuit, l’attention et la sympathie générales, ainsi que par la présence des jeunes femmes. Entraîné par sa propre émotion, il s’élevait à l’éloquence et à la poésie. Le son bas et concentré de sa voix augmentait encore le prestige. On aurait dit que ses lèvres exprimaient des choses supérieures auxquelles il ne s’attendait pas lui-même.

Roudine parlait de ce qui donne une signification éternelle à la vie passagère de l’homme. Je me souviens, dit-il en terminant, d’une légende scandinave. Le tsar et ses guerriers sont assis autour d’un feu dans une grange longue et obscure. La scène se passe la nuit, en hiver. Un petit oiseau entre tout à coup par une porte ouverte et s’envole par une autre. — « Cet oiseau, dit le tsar, est semblable à l’homme sur cette terre : il sort de l’obscurité pour rentrer dans l’ombre, et ne séjourne qu’un instant dans la chaleur et la lumière. » — « Tsar, répondit le