Page:Tourgueniev - Dimitri Roudine, 1862.djvu/65

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Roudine écoutait, fumait sa cigarette et se taisait. Il n’interrompait que rarement et par de légères remarques le bavardage de la dame. Quoiqu’il fût naturellement éloquent et qu’il aimât à parler, il savait écouter, et ceux que sa rapidité d’élocution n’intimidait pas devenaient facilement expansifs en sa présence, tant il mettait de bienveillance à suivre le fil du discours d’autrui. Il avait ce grand fond de bonhomie indifférente que possèdent ceux qui se sentent supérieurs aux autres. Mais dans les discussions il laissait rarement le dernier mot à son adversaire, et l’écrasait de sa dialectique impétueuse et passionnée. Daria Michaëlowna parlait russe, et paraissait fière de sa parfaite connaissance de sa langue maternelle ; elle laissait pourtant souvent échapper des gallicismes et des mots français. Elle cherchait à employer des locutions simples et populaires, mais n’y réussissait pas toujours. L’oreille de Roudine ne s’offensait guère de la bigarrure du langage qui coulait des lèvres de Daria Michaëlowna. Celle-ci se lassa enfin, et appuyant sa tête sur le coussin du fauteuil, elle laissa errer son regard vers Roudine.

— Je comprends, commença celui-ci d’une voix lente, je comprends pourquoi vous passez tous vos étés à la campagne. Ce repos vous est nécessaire, après la vie agitée de la ville. Le calme des champs vous rafraîchit et vous donne de nouvelles forces. Je suis sûr que vous sympathisez profondément avec les beautés de la nature.