Page:Tourgueniev - Dimitri Roudine, 1862.djvu/98

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cœur… Je ne nie pas son éloquence, mais son éloquence n’est pas russe. D’ailleurs, si l’on pardonne à un adolescent de faire le beau parleur, n’est-il pas honteux qu’à l’âge de Roudine on se délecte au bruit de ses propres phrases ? N’est-il pas honteux de jouer ainsi la comédie !

— Il me semble, Michaël Michaëlowitch, que, pour ceux qui écoutent, il importe peu qu’il pose ou non.

— Pardonnez-moi, Alexandra, il importe beaucoup. L’un me dira une parole, et je serai tout ému ; un autre me dira cette même parole ou une parole plus éloquente encore, et je ne secouerai pas seulement mes oreilles. Pourquoi cela ?

Vous ne les secouerez pas, mais un autre ? répondit Alexandra.

— C’est possible, répliqua Lejnieff, quoique je les aie longues, voulez-vous dire. Le fait est que les paroles de Roudine ne sont et ne seront jamais que des paroles, et ne deviendront en aucun cas des actions ; mais cela n’empêche pas que ces mêmes paroles ne puissent troubler et perdre un jeune cœur.

— Mais de qui, dites, de qui parlez-vous donc, Michaël Michaëlowitch ?

Lejnieff s’arrêta.

— Vous désirez savoir de qui je parle ? De Natalie Alexéiewna.

Alexandra se troubla un instant, puis se mit aussitôt à sourire.