Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/134

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habituel, — il paraît qu’un aimable hôte vous a fait oublier l’heure.

Le lecteur nous permettra de lui communiquer ici quelques renseignements sur le général Ratmirof. Son père procédait indirectement d’un grand seigneur du temps d’Alexandre Ier et d’une actrice française. Le grand seigneur avait poussé son fils dans le monde, mais ne lui avait pas laissé de fortune ; et ce fils lui-même, — le père de notre héros, — n’avait pas eu le temps de s’enrichir : il était devenu colonel et maître de police, quand la mort vint le surprendre. Une année avant de mourir, il avait épousé une jeune et riche veuve qui était venue se mettre sous sa protection. Le fils du maître de police et de la veuve, Valérien Ratmirof, avait été placé, par protection spéciale, dans le corps des pages, et il attira bientôt sur lui l’attention de ses chefs, moins par ses succès scientifiques que par sa tenue martiale et son inaltérable soumission. Il entra dans la garde et fit une carrière brillante, grâce à la modeste aménité de son caractère, à son agilité au bal, à la façon élégante dont il montait, aux parades, des chevaux que ses camarades lui prêtaient, grâce enfin à je ne sais quel art singulier de politesse familièrement respectueuse envers ses supérieurs, d’empressement caressant et insinuant, auquel venait se mêler un tout petit grain de libéralisme. Ce libéralisme ne l’empêcha pas pourtant de faire rosser à mort cinq paysans dans un village de la Russie Blanche qu’il avait été