Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/160

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— Orgueilleuse comme le démon, mais ce n’est rien.

— Il m’a paru qu’elle exagérait quelquefois…

— Et ce n’est rien encore ; elle n’en est pas moins sincère. Mais où prétendez-vous chercher la vérité ? Les meilleures de ces dames sont gangrenées jusqu’à la moelle des os.

— Mais, Sozonthe Ivanovitch, rappelez-vous, ne l’avez-vous pas appelée vous-même votre amie ? Ne m’avez-vous pas conduit chez elle presque de force ?

— Qu’est-ce à dire ? Elle m’a prié de vous amener ; je me suis dit : Pourquoi pas ? Et quant à l’amitié, oui, je suis réellement son ami. Elle n’est pas sans qualités ; elle est bonne, c’est-à-dire généreuse, c’est-à-dire qu’elle donne aux autres ce qui ne lui est pas tout à fait nécessaire. Du reste, vous devez la connaître aussi bien que moi.

— J’ai connu Irène Pavlovna il y a dix ans ; depuis ce temps…

— Ah ! Grégoire Mikhailovitch, que dites-vous ! Est-ce que le caractère change ? Tel on est au berceau, tel on descend au tombeau. Peut-être, — ici Potoughine se courba encore davantage, — peut-être craignez-vous de tomber entre ses mains ? C’est possible, mais peut-on échapper à des mains quelconques ?

Litvinof eut un sourire forcé.

— Vous croyez ?

— On ne peut y échapper. L’homme est faible, la femme est tenace, le hasard est tout-puissant ; se