Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/162

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

n’avait fait qu’une maladroite allusion. Il rentra à son hôtel avec un secret mécontentement sur le cœur.

— Elle est gangrenée jusqu’à la moelle des os, pensa-t-il pendant quelque temps… orgueilleuse comme un démon ! elle, cette femme qui est presque tombée à mes genoux, orgueilleuse ? orgueilleuse et pas capricieuse ?

Litvinof essaya, mais sans succès, d’éloigner de son esprit l’image d’Irène. Il ne voulait pas songer à sa fiancée ; il sentait qu’elle n’aurait pas ce jour-là le dessus. Il résolut d’attendre, sans s’émouvoir davantage, le dénoûment de toute « cette étrange histoire. » Ce dénoûment ne pouvait tarder, et Litvinof ne doutait pas qu’il ne fût des plus inoffensifs et des plus naturels. Il en décida ainsi, mais cependant l’image d’Irène ne le quittait pas, et chacune de ses paroles lui revenait obstinément en mémoire.

Le garçon d’auberge lui apporta un billet ainsi conçu :

« Si vous ne faites rien ce soir, venez ; je ne serai pas seule, j’aurai du monde et vous pourrez voir de plus près notre société. J’ai grande envie que vous la voyiez ; j’ai le pressentiment qu’elle se montrera dans tout son éclat. Il faut que vous vous rendiez compte de l’air que je respire. Venez ; je serai heureuse de vous voir, et vous ne vous ennuierez pas. Prouvez-moi que notre explication d’aujourd’hui a rendu désormais impossible tout malentendu.

« Votre dévouée, I. »