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pratique. Et ce n’est pas d’ailleurs selon Tourguéneff en répudiant les leçons de l’Occident, comme le voudraient les Slavophiles, c’est en se mettant à son école, que se réalisera « l’Avenir de la Russie. »

Quelque sombre que puisse paraître le tableau à un lecteur anglais, quelque navrante que soit l’histoire encore pourrait-on dire qu’ils le sont moins que les autres récits de Tourguéneff. La plupart de ses récits finissent par une catastrophe. Fumée se termine comme un roman pour jeunes filles. Tourguéneff emprunte à l’Eugène Onieguine de Pouchkine la touchante figure de Tatiana, d’ailleurs à peine esquissée. Tatiana paraît comme une dea ex machina, et Litvinof, au lieu de se suicider comme Bazarof, ce qui était dans la logique du roman, se marie, et retrouve le bonheur, ce qui est contraire à la justice immanente de la vie.

Pour s’orienter, pour entrer de plain pied dans cet étrange monde russe dont Tourguéneff est l’évocateur, on ne saurait mieux commencer que par la lecture de Fumée. Il y a dans l’ensemble de son œuvre des livres qui ont exercé une influence plus profonde : tels Récits d’un Chasseur et Pères et Enfants, qui sont deux dates historiques. Et Tourguéneff a écrit des récits mieux composés ; il y a des modèles plus parfaits de son art : tels le Juif, le roi Lear de la Steppe, Premier Amour. Mais je crois bien que Fumée est de tous ses romans le plus expressif, le plus caractéristique de son talent et le plus « russe », le plus représentatif de sa race.

CHARLES SAROLEA.

Université d’Édimbourg.