Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/245

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que vous devez éprouver maintenant. Pourquoi irriter des plaies ?… — Elle s’arrêta, elle voulut surmonter son émotion, refouler les larmes qui s’amoncelaient ; elle y réussit, et continua. — Pourquoi irriter une plaie inguérissable ? Laissons faire le temps. Je n’ai plus qu’une prière à vous faire, Grégoire Mikhailovitch : soyez assez bon pour porter vous-même cette lettre à la poste ; elle est importante, et nous n’avons pas le loisir… Je vous serai fort obligée. Attendez une minute, je vais tout de suite…

Sur le seuil de la porte, Tatiana jeta un coup d’œil inquiet sur Capitoline Markovna ; mais elle était si gravement assise, elle avait un air si sévère avec ses sourcils froncés et ses lèvres serrées, que Tatiana se borna à lui faire un signe d’intelligence et sortit. Mais à peine la porte s’était-elle fermée sur elle, que cet air solennel disparut du visage de Capitoline Markovna ; elle se leva, courut sur la pointe des pieds à Litvinof et, se courbant en deux pour mieux le dévisager, toute tremblante et en larmes, elle se mit à lui parler très vite et très bas, presque en balbutiant.

— Seigneur, mon Dieu ! Grégoire Mikhailovitch, qu’est-ce que c’est ? un songe, n’est-il pas vrai ? Vous renoncez à Tatiana, vous ne l’aimez plus, vous manquez à votre parole ! C’est vous qui agissez ainsi, vous sur lequel nous comptions tous comme sur un mur d’airain ! vous ? vous ? toi ? Gricha ?… — Puis, après une pause : — Mais vous la tuerez,