Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/267

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— De qui ?

— De Vaska Bouslaéf, le brave Novogorodien… dans la chronique de Kircha Danilof.

— Quel Bouslaéf ? grommela Litvinof, un peu déconcerté par le tour inattendu de la conversation. — Je ne sais pas.

— C’est égal. Voilà sur quoi je voulais attirer votre attention. Vaska Bouslaéf, après avoir entraîné ses Novogorodiens à faire un pèlerinage à Jérusalem et après s’être baigné, à leur grand scandale, dans la sainte rivière du Jourdain, ce logique Vaska Bouslaéf grimpe sur le mont Thabor. Or, sur le sommet de ce mont se trouve une pierre que des gens de toute nation ont inutilement essayé de sauter. Vaska veut tenter la chance. Une tête de mort se trouve sur son chemin ; il la pousse du pied. La tête de mort lui dit : « Pourquoi me pousses-tu ? J’ai su vivre, je sais rouler dans la poussière ; il t’en arrivera de même. » Et, en effet, Vaska prend son élan et avait déjà presque franchi la pierre lorsque, son talon s’accrochant, il se casse la tête. Je dois ici faire observer à mes amis les slavophiles, fort enclins à pousser du pied les têtes de morts et les nations « pourries, » qu’il leur conviendrait de réfléchir sur cette légende.

— Mais à quoi tout cela tend-il ? interrompit avec impatience Litvinof. Il est temps que je parte, excusez…

— Cela tend à vous dire, lui répondit Potoughine, et ses yeux brillèrent d’un sentiment amical