Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/276

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qui se publiait alors à Heidelberg sous ce titre : À tout venant je crache[1].

Et Litvinof reprit son refrain : Fumée, fumée, fumée !

— Voilà, se dit-il, il y a maintenant à Heidelberg plus de cent étudiants russes ; ils étudient tous la chimie, la physique, la physiologie, et ne veulent pas entendre parler d’autre chose. Quatre, cinq ans s’écouleront, et il n’y aura plus quinze des nôtres aux cours de ces mêmes célèbres professeurs… Le vent aura changé, la fumée sera passée d’un autre côté… Fumée… fumée… fumée[2] !

La nuit, il traversa Cassel. Avec l’obscurité, une angoisse intolérable le saisit comme un vautour ; il se mit à pleurer, la tête enfoncée dans le coin de son wagon. Ses larmes coulèrent longtemps, sans soulager son cœur, et le déchirant pour ainsi dire davantage.

Pendant ce temps, dans une auberge de Cassel, Tatiana était étendue sur un lit, brûlante de fièvre ; Capitoline Markovna la veillait.

— Tania, lui disait-elle, pour l’amour de Dieu, permets-moi d’envoyer un télégramme à Grégoire Mikhailovitch ; permets, Tania.

— Non, tante, répondit-elle, il ne le faut pas, ne

  1. Historique.
  2. Ce pressentiment de Litvinof s’est réalisé : en 1866, on ne comptait plus que treize étudiants russes en été à Heidelberg et douze en hiver.