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D’UN SEIGNEUR RUSSE. 159

général se montra dans une excellente disposition d’humeur. Bientôt il attaqua sérieusement les côtelettes et le fromage, et, après avoir vaqué en homme à cette opération, il’se versa un verre de vin rouge, le porta à ses lèvres et fronça les sourcils.

Comment le vin n’a-t-il pas été réchauffé ? ·· dit-il d’une voix sèche à l’un des valets. Celui-ci se troubla, ·. pâlit et demeura pétrifié. « Cà, je t’ai interrogé, mon cher, · reprit avec un calme étudié le jeune seigneur, les yeux braqués grands ouverts sur le pauvre homme, qui, pour tout mouvement, tordit légèrement la serviette qu’il tenait en main, et, sous le poids de la fascination, resta hors d’état d’articuler un monosyllabe.

Arcadi Pavlytch abaissa le front et continua pensivement à regarder-le malheureux, mais en dessous. Pardon, mon cher, » me dit-il avec un aimable sourire, en me posant tout amicalement la main sur le genou ; et il regarda de nouveau en silence le valet : « Eh bien, va, dit-il enfin en relevant les sourcils et en touchant la bascule d’un timbre à ressorts, qui fit entrer un gros homme brun au front bas et aux yeux striés.

Fais tes dispositions pour Fédor, » lui dit en moins de mots encore Arcadi Pavlytch, parfaitement maître de lui-même. ’

L’homme trapu s’inclina et sortit. °

Voilà, mon cher, les désagréments de la campagne, me dit rieuse ment Arcadi.... Mais ou allez-vous donc T Restez, restez, mettez-vous ici.

- Non pas ; il faut que je vous quitte, il est temps. — D’aller à la chasse ? toujours à la chasse ! voilà une passion l De quel côté comptez-vous aller ? — A quarante verstes d’ici, à Reabovo. — A Reabovo ! Eh mais alors, j’irai avec vous ; Reabovo est à cinq verstes de ma terre de Chipilovka, et il n’y a que trop longtemps que je diffère de m’y rendre ; je n’ai pu jusqu’à ce moment trouver un jour libre. Cela tombe à merveille. Vous chasserez à cœur joie à Reabovo, puisque tel est votre projet, et, le soir, vous êtes chez moi. C’est char-