Page:Tourgueniev - Mémoires d’un seigneur russe.djvu/216

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— Tu es la fille du forestier ?

— Sa fille, oui, - murmura-t-elle.

La porte cria, et le garde entra en se courbant. Il releva la lanterne que la petite avait posée à terre ; il mit le feu à une allumette, et dit :

Vous n’êtes sûrement pas aocoutumé à la lumière de nos p ont chines. ·· 0

Et il secoua les boucles de sa chevelure.

Je regardai mon hôte ; il m’était rarement arrivé de voir un tel gaillard : grand, riche d’épaules et de poitrine, et parfaitement pris dans sa taille. Sous sa chemise rapiécée ressortaient ses muscles puissants ; sa barbe noire et onduleuse lui couvrait la moitié du visage ; ses traits étaient mâles et austères ; à travers ses longs et larges sourcils perçaient les regards de ses petits yeux vairons. Il se mit les mains sur les hanches et s’arrêta devant moi.

Je le remerciai et lui demandai son nom.

Je m’appelle Foma, et l’on m’a surnommé le Bireoulc.

— Ah ! c’est toi qu’on appelle le Bireouk ! »

Et je le regardai avec un redoublement de curiosité. Mon Ermolaî et d’autres individus m’avaient souvent conté des traits du forestier Bireouk, que tous les paysans de la contrée craignaient comme la foudre. A les entendre, il n’y avait V jamais eu un homme si actif ; avec lui il n’y avait pas moyen de dérober le moindre fagot ni la plus petite brassée de bois mort ; à quelque heure que ce fût et quelque temps qu’il fît, il vous tombait sur la tête comme la neige. Et il était inutile d’essayer de le corrompre ou de’le tromper ; vin, argent, prière et ruses, rien n’avait prise sur lui ; on lui avait tendu des piéges où il aurait dû vingt fois se casser le cou ; il se riait de tout cela. Voilà ce qu’on racontait partout.

C’est donc toi qu’on a surnommé le Bireouk ! répétai-je ; eh bien ! frère, j’ai entendu parler de toi, on dit que tu n’as pas ton pareil pour traquer le pauvre monde.

— Je fais mon devoir, répondit-il fort sérieusement ; je veux gagner loyalement le pain que me donne mon maître. ·· ·