Page:Tourgueniev - Mémoires d’un seigneur russe.djvu/221

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

D’UN SEIGNEUR RUSSE., 205

Laisse-moi aller, répétait-il avec un stupide désespoir ; ah ! au nom de Dieu, lâche-moi.... je prierai, oui.... la faim, vois-tu.... oh ! mourir de faim ! jejure Dieu, la faim, les enfants qui crient.... tu sais.... c’est dur.... mourir comme ça.... on ne sait plus.... vrai, on.... ·. — Ne vole pas.... ne va pas voler, on te dit. — Le petit cheval, continuait le paysan, le petit cheval.., . je n’ai que ça au monde, hein ! songe donc, oh ! Foma.... laisse-moi aller. A. î

— On te dit non ; ça ne se peut pas ; moi aussi je suis, serf, mon Dieu ; je réponds de toi ; l’arbre est abattu. On ne doit pas pourtant vous gâter. 4

— Laisse-moi aller ; le besoin, Eoma Kouzmitch, le be- I soin, la faim.... ah ! tu sais... relâche-moi. — Je vous connais.

—Ah ! relâche-moi !

— Qu’ai-je besoin de t’écouter, de te répondre ? Tiens-toi tranquille ; sinon, tu sais que je ne badine point. Tu ne vois pas qu’il y a ici un bârine ? »· Le malheureux laissa retomber sa tête sur sa poitrine. Le Bireouk bâilla, croisa les mains sur sa table et posa sa têtesur ses mains.

La pluie ne cessait point, j’attendais. · Le paysan tout à coup se redressa ; ses yeux s’enflammèrent, et son teint s’anima. « Eh bien ! ronge.... étrangle, étoutïe.... bon ! vociféra-t-il de ses lèvres frémissantes.... bon ! bourreau, loup enragé, bois le sang chrétien, bois, viens.... Ce forestier releva la tête à demi.) Eh biea ! viens, asiate’, buveur de sang, je t’appelle... — Es-tu ivre pour te mettre à injurier comme ça ? dit le forestier surpris ; aurais-tu perdu la tête ? —Ivre !... est-ce que j’ai bu a ton compte" !.. lvre !... ah ! enragé, ab ! bête farouche, buveur de sang ! —Ah çà, tu veux donc que je me lève ? — Eh bien, quoi ? ça m’est égal.... s’il faut mourir. tu m’ôteras mon cheval, je sais ; et moi, sans cheval, je suis 1. Asiatecn asiatique, ’grande injure.,