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228 MEMOIRES

arrêter avec assez d’adresse juste devant nous, dans l’endroit le plus avantageux. Gomostaî s’étira, s’ébroua, hennit, balança sa queue, remua beaucoup la tête et fit une gracieuse courbette à notre intention.

C’est un oiseau bien appris, pensai-je. · Lâche-lui un peu la bride ; encore, encore ! dit Sitnikof qui se mit à me bien observer.... Eh bien, dit-il enfin, quelle est votre idée Y

— Ge n’est pas un mauvais cheval, mais les jambes de devant ne sont pas fortes.

— Tout ce qu’il y a de plus solide, répliqua le maquignon d’un tou de parfaite conviction ; et la croupe, hein ! ayez la bonté d’examiner cela.... un vrai dessus de poëte, c’est à donner envie de s’y coucher.

— Les paturons sont trop développés en longueur. — Quelle longueur, de grâce ? Hé ! Péetia, fais courir.... Au trot, au trot, au trot ! on te dit ; ne le laisse pas galoper.-Péetia recommença son manège. Gomme nous nous taisions tous, Sitnikof dit à Péetia : ·« Bien, reconduis-le dans sa stalle, et amène-nous ici Sokol. ~· · Sokol, étalon moreau de sang hollandais, à croupe cambrée et à panse levrettée, mesembla un peu meilleur que Gornostaï. Il était du nombre de ces chevaux dont les chasseurs disent : ils sabrent, massacrent et font prisonnier, c’est-à-dire, ils se tortillent en marchant, jettent les deux pieds de devant à droite et à gauche, et font peu de chemin. Les marchands entre deux âges ont de l’aH’ection pour cette sorte de chevaux dont le trot rappelle l’allure d’un agile garçon de restaurant ; ils sontbons à être attelés seuls pour une promenade de l’après-dînée : cheminant avec élégance et le cou légèrement incliné de côté, ils firent courageusement une lourde et grossière drochka chargée d’un cocher qui a mangé comme dix hommes, d’un grand marchand efllanqué souffrant d’une maladie de cœur, et de son énorme dame enveloppée de soie bleu de ciel, et portant sur la tête un mouchoir de soie posé comme une étroite calotte. Je renon-. çai à Sokol. Sitnikof me lit voir encore quelques chevaux.... A la fin un gris pommelé des haras de Voëikof me plut dès