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reste, malgré toute son intelligence, ·Khor avait dans la tête bon nombre de préventions et de préjugés ; par exemple, il méprisait les femmes du plus profond de son âme, et, à ses heures, il ne tarissait pas en saillies sur leur compte. Sa femme, vieille et acariâtre, était postée sur la loge du gros poëte, qu’elle ne quittait’guère ; de là, elle grondait sans cesse et sans merci du matin au soir ; les fils ne faisaient aucune attention à elle, mais elle tenait ses brus dans la crainte du bon Dicu. Il n’y a rien de surprenant si, en Russie, on a si üdèle mémoire de la chanson qui fait dire à une belle-mère : ·· Quel fils es-tu pour moi ? quel chef de famille seras-tu, toi qui as une jeune femme et ne la bats jamais’ !... ··, ”

’ Une fois, je m’avisai d’intercéder pour les brus, j’essayai d’apitoyer le vieillard ; ilme répondit tranquillement : ·· Eh ! bàrine, tu as bien de la bonté de reste ! les femmes, ça crie et ça pleure, ça a besoin de se prendre un peu aux cheveux ; si un homme met la main la dedans, il ne la retire pas nette et il a versé de l’huile sur la flamme. ·· Quelquefois la vieille descendait de son fort, appelait le chien-qu’elle avait entendu remuer derrière la porte, et, sans que personne pût dire pourquoi, assénait de grands coups de fourgon sur le dos de la bête ; ou bien elle allait s’établir sous le toit du large perron, et delà elle aboyait à tout venant, selon » l’expression de Khor, une bonne petite heure, comme si elle avait eu à remplir un vœu ou un devoir, à s’acquitter d’un exercice, sans que nul y prît autrement garde. Au reste, . elle craignait son mari, et, dès qu’il avait parlé, elle regrimpait prestement sur le poele.

Ce qui était curieux a entendre chez Khor, c’étaient ses, discussions avec Kalinytch sur la personne de M. Poloutykine. çà, Khor, je t’en prie, ne me dis pas un mot de travers sur le maître, tu sais qu’il m’a toujours.... — Il t’aime, c’est bon ; que ne te donne-t-il des bottes ? -Des bottes ?... À moi a moi, qui suis un moujik ! — Je suis, moi aussi, un moujik, et vois pourtant.’...-Khor, en disant ces mots, soulevait son pied droit, mon-