« Ah ! Victor Alexandrytch, que nous aurons de chagrin ici en votre absence ! » se prit-elle à dire.
Victor nettoya son lorgnon, et, en le remettant dans sa poche de côté, il répondit :
« Ah ! oui, je le crois bien ; ce sera dans les premiers temps bien dur pour toi. (Il lui frappa de petites tapes protectrices sur les épaules ; elle saisit doucement sur son épaule cette chère main et la baisa avec une respectueuse crainte.) Oui, oui, je sais parfaitement que tu es une bonne fille, reprit-il de la voix d’un faquin infatué de lui-même ; mais que dois-je donc faire ? Juge toi-même ; notre maître et moi nous ne pouvons certes pas rester ici ; voici l’hiver qui approche, et la campagne, l’hiver, tu en conviendras, fi ! c’est une horreur. En cette saison, vive Pétersbourg ! là il y a des merveilles qu’une pauvre sotte comme toi ne peut se figurer, même dans ses plus beaux songes. Quelles maisons ! quelles rues ! quel beau monde ! Avec cela une civlation, oh mais, une civlation étonnante, vois-tu… »
Acoulina écoutait cette description de Pétersbourg avec une attention dévorante ; elle se tenait la bouche ouverte comme les petits enfants à qui on décrit le pays de Cocagne ou le pouvoir des fées.
« Au reste, ajouta-t-il en s’étendant de toute sa longueur sur l’herbe et foulant son bouquet oublié, quelle bête d’idée j’ai eue, moi, de te dire tout cela, à toi qui ne peux point me comprendre !
— Pourquoi donc, Victor Alexandrytch ? J’ai compris, vrai, j’ai tout compris.
— Toi ? Ho ! ho ! que ça d’amour-propre ! »
Acoulina se mordit les lèvres.
« Auparavant vous ne me parliez pas de cette manière, Victor Alexandrytch, murmura-t-elle doucement sans lever les yeux.
— Auparavant ! auparavant ! voyez-vous cela ? auparavant ! » répliqua-t-il, comme s’il était fâché.
Tous deux gardèrent le silence.
« Cependant il est temps que je rentre à la maison, mar-