Page:Tourgueniev - Pères et fils.djvu/128

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elle avait une grande liberté d’esprit et ne manquait pas de fermeté.

Étendue dans un fauteuil et les mains posées l’une sur l’autre, madame Odintsof écoutait Bazarof. Contre son habitude, celui-ci parlait assez volontiers et cherchait évidemment à intéresser Anna Serghéïevna. Cela surprit beaucoup Arcade ; mais il lui eût été impossible de décider si Bazarof avait réussi ou non. Les émotions que pouvait éprouver madame Odintsof ne se peignaient point distinctement sur sa figure ; elle conservait toujours la même expression, aimable et fine ; ses beaux yeux intelligents étaient toujours attentifs, mais cette attention ne s’animait jamais. Les étranges façons de Bazarof dans les premiers moments de leur entretien lui avaient causé une impression désagréable, comme une mauvaise odeur ou un son criard ; mais elle comprit bientôt qu’il éprouvait de l’embarras, et cette découverte la flatta. La trivialité seule lui était insupportable, et Bazarof n’avait assurément rien de trivial. Il était dit que ce jour-là Arcade marcherait de surprise en surprise. Il pensait que Bazarof parlerait à madame Odintsof, femme intelligente et spirituelle, de ses convictions et de ses vues ; elle avait exprimé d’avance le désir de causer avec « un homme qui osait ne croire à rien ; » au lieu de cela Bazarof l’entretenait de médecine, d’homœopathie et de botanique. Madame Odintsof avait mis à profit les loisirs de la solitude ; elle avait lu plusieurs bons ouvrages et parlait très-correctement le russe. Ayant touché