Page:Tourgueniev - Pères et fils.djvu/141

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constamment avec Bazarof, lui demanda s’il ne voulait pas se mesurer avec eux à l’antique jeu de la préférence. Bazarof y consentit, disant qu’il devait se préparer aux fonctions de médecin de campagne.

— Prenez garde, lui dit madame Odintsof, nous allons vous battre. Toi Katia, ajouta-t-elle ; joue quelque chose à Arcade Nikolaïévitch. Il aime la musique et nous t’écouterons aussi.

Katia se dirigea avec peu d’empressement vers le piano, et Arcade, quoiqu’il aimât réellement la musique, la suivit à contre-cœur ; il se disait que madame Odintsof semblait chercher à se débarrasser de lui, et, comme tous les jeunes gens de son âge, il se sentait déjà animé de ce sentiment confus et presque pénible qui précède l’amour. Katia ouvrit le piano, et demanda à Arcade, sans jeter les yeux sur lui :

— Que faut-il vous jouer ?

— Ce que vous voudrez, lui répondit Arcade d’un ton indifférent.

— Quelle est la musique que vous préférez ? reprit Katia sans changer de position.

— La musique classique, répondit Arcade du même ton.

— Aimez-vous Mozart ?

— Oui.

Katia prit la sonate fantaisie en ut mineur de ce maître. Elle jouait fort bien, quoique son exécution fût sévère et même un peu sèche. Elle se tenait immobile et droite, les yeux fixés sur les notes, et les lèvres