Page:Tourgueniev - Pères et fils.djvu/186

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— Mon petit père, dit la vieille d’une voix larmoyante, je n’ai pas l’honneur de savoir votre nom de baptême, ni celui de votre père…

— Arcade Nikolaïtch, répondit Vassili Ivanitch à demi-voix, d’un air digne.

— Pardonnez-moi, bête que je suis. — La vieille se moucha, et, penchant sa tête tantôt à droite, tantôt à gauche, elle essuya avec soin ses yeux l’un après l’autre. — Pardonnez-moi. C’est que je croyais bien que je mourrais sans avoir revu mon… mon pauvre fils !

— Et voilà que vous l’avez revu, madame, reprit vivement Vassili Ivanovitch. — Tanioucha, ajouta-t-il en s’adressant à une fille de douze à treize ans, qui, pieds nus, en robe d’indienne d’un rouge vif, se tenait à sa porte d’un air craintif, apporte à ta maîtresse un verre d’eau, sur un plateau, tu m’entends ? Et vous, messieurs, continua-t-il avec un certain enjouement qui sentait l’ancienne mode, permettez-moi de vous inviter à passer dans le cabinet du vétéran.

— Laisse-moi t’embrasser une dernière petite fois, Eniouchenka, dit Arina Vlassievna d’une voix gémissante. Bazarof se pencha vers elle. — Comme tu es devenu beau garçon !

— Quant à ça, non, répondit Vassili Ivanovitch, mais il est devenu, comme on dit en français, un hommefé. Mais à cette heure, Arina Vlassievna, j’espère qu’ayant rassasié ton cœur maternel, tu vas t’occuper de la nourriture de nos chers hôtes, car tu dois sa-