quoi aimes-tu les pommes ? toujours en vertu des sensations. La vérité est là, et jamais les hommes ne creuseront plus loin. On ne se l’avoue pas volontiers, et moi-même, je ne te le répéterai plus.
— Mais, à ce compte, l’honnêteté même ne serait qu’une sensation ?
— Sans aucune doute !
— Eugène ! reprit Arcade d’un ton affligé.
— Ah ! vraiment ? le morceau n’est pas de ton goût ? dit Bazarof. Non mon cher, quand on est décidé à tout faucher, il ne faut pas épargner ses propres jambes. Mais nous avons assez philosophé comme cela. La nature inspire le silence du sommeil, a dit Pouchkine.
— Jamais il n’a rien dit de semblable, reprit Arcade.
— S’il ne l’a pas dit, il aurait pu et dû le faire en sa qualité de poète. À propos, il a donc été militaire ?
— Pouchkine n’a jamais été militaire.
— Allons donc ! il n’y a pas de page où il ne s’écrie : « Aux armes ! aux armes ! pour l’honneur de la Russie ! »
— Où vas-tu prendre toutes ces inventions ? J’appelle cela calomnier.
— Calomnier ? la belle affaire ! Crois-tu m’effrayer par ce mot-là ? Quelle que soit la calomnie que l’on répande sur le compte d’un individu, il en mérite encore vingt fois davantage.
— Tâchons plutôt de dormir, dit Arcade d’un air piqué.
— Avec le plus grand plaisir, répondit Bazarof.