Page:Tourgueniev - Pères et fils.djvu/219

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après avoir bu deux verres de vin, il en refusa un troisième ; il accepta le cigare que lui donna Arcade, mais ne le fuma point, disant qu’il l’emporterait chez lui. Il avait pourtant une habitude peu agréable, c’était d’approcher à tout moment la main avec lenteur et prudence de son visage, pour attraper les mouches qui s’y posaient, et il lui arrivait de les y écraser. Il prit place à la table de jeu sans en montrer trop de satisfaction, et finit par gagner à Bazarof deux roubles cinquante kopeks assignats (on n’avait aucune idée du rouble argent dans la maison d’Arina Vlassievna.) Celle-ci, assise à côté de son fils (elle ne jouait jamais), le menton appuyé sur sa main suivant son habitude, ne se levait que pour donner l’ordre d’apporter quelque nouvelle friandise. Elle craignait d’avoir trop d’attentions pour Bazarof, et il ne l’y encourageait nullement ; d’ailleurs Vassili Ivanovitch lui avait bien recommandé de ne pas le tourmenter : « Les jeunes gens n’aiment pas cela, » lui répétait-il. (N’oublions pas de dire que rien ne fut épargné pour le dîner. Timoféitch en personne s’était rendu dés l’aube du jour à la ville afin d’y acheter de la viande de première qualité ; le starosta se transporta sur un autre point à la recherche de nalimes[1], de perches et d’écrevisses ; on donna jusqu’à quarante kopeks aux paysannes pour les champignons.) Mais les yeux d’Arina Vlassievna constamment fixés sur Bazarof, n’exprimaient pas uniquement le dévouement et la tendresse ; on y

  1. Poisson d’un goût exquis ; on en fait de l’oukha, sorte de bouillabaisse.