Page:Tourgueniev - Pères et fils.djvu/230

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trouva trop lourde pour être utilisée ; un blutoir fut brisé le jour même où on l’essaya ; la moitié de la basse-cour brûla, grâce à une vieille servante à demi-aveugle, qui était allée, par un grand vent, exorciser sa vache malade avec un charbon allumé, et cette même vieille assurait plus tard que le malheur avait eu lieu parce que le maître s’était ingéré de faire préparer des fromages et autres nouveautés du même genre. L’intendant fut pris subitement de paresse et se mit à engraisser, comme le fait tout Russe qui vient à être nourri aux frais d’un autre. Son activité se bornait à jeter une pierre à un petit cochon qui passait, ou à menacer un enfant à moitié nu, dès qu’il apercevait Kirsanof ; il dormait presque tout le reste du temps. Les paysans mis à la redevance ne payaient rien et volaient du bois ; les gardiens arrêtaient souvent la nuit, et non sans rencontrer une vive résistance, des chevaux de paysans qui paissaient dans les prés de la ferme. Kirsanof avait fixé une amende pour ce délit ; mais la plupart du temps les bêtes prises étaient rendues à leurs propriétaires, après avoir passé quelques jours dans les écuries du maître. Pour mettre le comble à ces tracas, les paysans commencèrent à se quereller entre eux ; des frères demandaient le partage, leurs femmes ne pouvant plus vivre sous le même toit ; des batailles avaient lieu à tout instant dans le village ; une foule de paysans se réunissait subitement, et comme s’ils avaient obéi à un mot d’ordre, devant le bureau de l’intendant, se rendaient de là chez le maître, la figure