Page:Tourgueniev - Pères et fils.djvu/238

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cha, et celle-ci répondait par un soupir que lui arrachait le souvenir d’un autre insensible. C’était Bazarof qui, sans le savoir, était devenu le cruel tyran de son âme.

Si Bazarof plaisait à Fenitchka, ce sentiment était payé de retour. En causant avec la jeune fille, la figure de Bazarof prenait une expression nouvelle ; elle devenait plus sereine, presque douce, et en même temps une sorte de prévenance moqueuse se mêlait à sa nonchalance ordinaire. Fenitchka embellissait de jour en jour. Il vient une époque pour les jeunes femmes où elles commencent subitement à se développer et à fleurir comme les roses d’été : ce temps était venu pour Fenitchka. Tout l’y disposait, même les chaleurs du mois de juillet dans lequel on venait d’entrer. Vêtue d’une légère robe blanche, elle semblait encore plus blanche et plus légère elle-même ; le soleil ne la hâlait pas, et la chaleur, dont il était impossible de se garantir, rougissait légèrement ses joues et ses oreilles, répandait sur tout son être une douce paresse, et donnant à ses jolis yeux la langueur d’un demi-sommeil, ajoutait comme une tendresse involontaire à ses regards. Elle ne pouvait presque point travailler, ses mains glissaient pour ainsi dire de ses genoux. À peine se sentait-elle en état de marcher, et ne cessait de se plaindre avec un affaissement comique.

— Tu devrais te baigner plus souvent, lui disait Kirsanof. Il avait fait construire une grande tente à cet usage sur un de ses étangs qui n’était pas encore tout à fait desséché.