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et sortit pour voir battre le blé. Fenitchka apporta une tasse de thé, et, l’ayant placée sur la table, elle se disposait à se retirer quand Paul la retint.

— Pourquoi voulez-vous me quitter si vite, Fedossia Nikolaïevna, lui dit-il ; est-ce que vous avez quelque chose à faire ?

— Non… oui… J’ai à verser le thé là-bas.

— Douniacha le fera en votre absence ; restez un peu avec un pauvre malade. D’ailleurs, j’ai à vous parler.

Fenitchka s’assit en silence sur le bord d’un fauteuil.

— Écoutez, reprit Paul en tirant sa moustache ; il y a longtemps que je voulais vous demander… pourquoi vous paraissez avoir peur de moi ?

— Comment ?

— Oui. Vous… vous ne me regardez jamais droit dans les yeux ; il semble que votre conscience ne soit pas tout à fait pure.

Fenitchka rougit[1], mais elle regarda Paul Petrovitch. Son air lui parut si étrange, qu’elle en frémit secrètement au fond du cœur.

— Votre conscience est-elle pure ? lui demanda-t-il.

— Pourquoi ne le serait-elle pas ? dit-elle à voix basse.

— Que sais-je ! Du reste, à l’égard de qui pourriez-vous être coupable ? Ce ne saurait être envers moi. Serait-ce à l’égard de quelque autre personne de la

  1. On dit en Russie : « Quand la conscience n’est pas pure on ne peut regarder personne en face. »