Page:Tourgueniev - Pères et fils.djvu/282

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de se saisir par le toupet et de se tirer en l’air comme une rave que l’on sort de sa plate-bande, et c’est ce que je viens de faire… Mais il m’a pris fantaisie de revoir une dernière fois la place que j’ai laissée, la plate-bande j’avais pris racine.

— J’espère que ces paroles ne me concernent point, dit Arcade d’un ton ému, j’espère que tu ne songes pas à te séparer de moi ?

Bazarof le regarda d’un œil fixe et scrutateur.

— Toi, en serais-tu vraiment bien chagrin ? Il me semble que tu t’es déjà séparé de moi. Tu es si propret, si frais… Je suppose que tes affaires avec madame Odintsof vont à merveille.

— De quelles affaires parles-tu ?

— N’est-ce pas pour elle que tu as quitté la ville, oisillon ? À propos, qu’y deviennent les écoles du dimanche ? Est-ce que tu n’es pas amoureux ? Ou bien es-tu déjà arrivé à la période de la modestie ?

— Eugène, tu sais que j’ai toujours été franc avec toi. Eh bien, je te jure, je prends Dieu à témoin, que tu es dans l’erreur.

— Hum ! Dieu à témoin… Une nouvelle expression, dit Bazarof à demi-voix. À quel propos le prends-tu si vivement ? Cela m’est absolument indifférent. Un romantique s’écrierait : Je sens que nos routes commencent à s’écarter ; moi je me borne à dire que nous sommes dégoûtés l’un de l’autre.

— Eugène….

— Le mal n’est pas grand, mon cher ; on se dégoûte