Page:Tourgueniev - Pères et fils.djvu/287

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zarof, quoiqu’elle se fût persuadée que tout était oublié, comme elle le lui avait dit. Tout en échangeant avec lui les paroles les plus simples, même en plaisantant, elle éprouvait un léger sentiment de crainte. C’est ainsi que sur un bateau à vapeur, en mer, on cause et on rit avec insouciance, absolument comme sur la terre ferme ; mais qu’il arrive le moindre contre-temps, la moindre circonstance imprévue, et aussitôt se laisse lire sur toutes les physionomies une inquiétude particulière, attestant la conscience permanente d’un danger permanent.

La conversation de madame Odintsof et de Bazarof ne dura pas longtemps. Anna Serghéïevna devenait de plus en plus sérieuse ; elle répondit avec distraction, et finit par lui proposer de passer au salon. Ils retrouvèrent la princesse et Katia.

— Où est donc Arcade Nikolaïévitch ? demanda madame Odintsof. Ayant appris qu’il avait disparu depuis une heure, elle l’envoya chercher.

Après avoir couru de tous les côtés, on finit par le trouver, assis sur un banc, au fond du jardin, le menton appuyé sur ses mains et plongé dans ses réflexions. Les pensées qui en faisaient le sujet étaient profondes et sérieuses, mais nullement tristes. Il savait que madame Odintsof était en tête à tête avec Bazarof, et il n’en éprouvait plus la moindre jalousie ; au contraire, sa figure était épanouie ; il semblait décidé à faire une certaine chose qui le réjouissait et l’étonnait en même temps.