Page:Tourgueniev - Pères et fils.djvu/306

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Enioucha a oublié son hypocondrie ! Comme il m’a arrangé aujourd’hui ! — D’un autre côté il ne se sentait pas d’aise en se voyant un tel aide ; cette idée lui inspirait un sentiment d’orgueil exalté. — Oui, oui, disait-il à quelque pauvre paysanne enveloppée dans l’armiak[1] de son mari, et portant une kitchka[2] à cornes, à qui il remettait une fiole d’eau de Goulard, ou un petit pot d’onguent de jusquiame : — tu devrais remercier Dieu à tout instant, ma chère, d’avoir amené ici mon fils : on te traite maintenant d’après la plus savante méthode du jour ; comprends-tu cela ? L’empereur des Français, Napoléon lui-même n’a pas un meilleur médecin. — La paysanne à laquelle il adressait cette exhortation et qui était venue se plaindre de se sentir soulevée par de petits poings (sans pouvoir expliquer le sens de ses paroles) écoutait Vassili Ivanovitch en le saluant jusqu’à terre et en tirant de son sein trois œufs enveloppés dans le bout d’une serviette[3] qui constituaient son offrande.

Bazarof arracha même une dent à un marchand forain, et quoique cette dent n’eût rien de particulier, Vassili Ivanovitch la conserva comme une pièce rare et répéta plusieurs fois en la montrant au père Alexis :

— Voyez-vous, père, quelles racines ! Il faut qu’Eugène ait un fameux poignet ! J’ai vu le marchand

  1. Redingote en gros drap.
  2. Coiffure des paysannes.
  3. Les serviettes des paysans russes sont très-longues.