Page:Tourgueniev - Pères et fils.djvu/31

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— Je trouve qu’Arcade s’est dégourdi[1], reprit-il. Je suis très-content de le revoir.

Le souper se passa silencieusement. Bazarof surtout ne dit presque rien ; mais il mangea beaucoup. Kirsanof raconta plusieurs incidents de sa vie de fermier, comme il l’appelait, exposa ses vues sur les mesures que le gouvernement devait prendre, suivant lui, relativement aux comités[2], aux députations, sur la nécessité de recourir au travail des machines. Paul se promenait lentement dans la chambre (il ne soupait jamais), buvant de temps en temps quelques gouttes de vin rouge dans un petit verre, et jetant encore plus rarement un mot, ou plutôt une exclamation comme : Ah ! eh ! hem !

Arcade rapportait les nouvelles de Pétersbourg, mais il se sentait un peu embarrassé, comme l’est ordinairement tout jeune homme qui, à peine sorti de l’enfance, se retrouve dans les lieux où l’on avait coutume de le considérer et de le traiter comme un enfant. Il allongeait ses phrases sans nécessité, il évitait de prononcer le mot de papa, et il lui arriva même de le remplacer par celui de père, qu’il marmotta, il est vrai, entre ses dents ; il se versa avec une indifférence affectée beaucoup plus de vin qu’il n’en voulait, et se crut obligé de le boire. Prokofitch ne le quittait pas des yeux et ne cessait de remuer les lèvres

  1. En français.
  2. On était à la veille de l’affranchissement des serfs.