Page:Tourgueniev - Pères et fils.djvu/37

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— Pardonne-moi, papa, continua-t-il, si tu trouves que ma demande est déplacée ; mais la franchise avec laquelle tu m’as parlé hier m’autorise à en faire autant ; tu ne te fâcheras pas ?

— Parle.

— Tu m’encourages à t’adresser une question… Si Fen… si elle ne vient pas servir le thé, n’est-ce point à cause de moi ?

Kirsanof détourna un peu la tête.

— Peut-être… finit-il par répondre ; elle suppose… elle a honte.

Arcade jeta un coup d’œil rapide sur son père.

— Elle a bien tort, reprit-il ; tu connais ma manière de voir (Arcade aimait beaucoup cette expression). D’ailleurs, je serais désolé de te gêner le moins du monde dans ta vie, dans tes habitudes. Indépendamment de cela, je suis certain que tu ne peux avoir fait un mauvais choix ; et, si tu lui as permis de vivre sous notre toit, c’est qu’elle en est digne. Après tout, un fils n’est pas le juge de son père, et moi surtout,… et surtout d’un père comme toi, qui n’as jamais gêné en rien ma liberté.

Arcade prononça les premiers mots d’une voix tremblante ; il se sentait généreux, et pourtant il comprenait fort bien en même temps qu’il avait l’air de faire la leçon à son père ; mais le bruit de notre propre voix nous grise, et Arcade débita la fin de son petit discours avec fermeté, et même d’un ton quelque peu déclamatoire.