Page:Tourgueniev - Pères et fils.djvu/53

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l’aima ; mais, lorsqu’elle commença à lui montrer de la froideur, et cela ne tarda pas, il faillit en perdre l’esprit. Il se désespérait et se sentait dévoré de jalousie ; il ne lui laissait pas un moment de repos et la suivait partout ; ennuyée de ses poursuites, elle partit pour l’étranger. Paul donna sa démission, malgré les instances de ses amis, malgré les conseils de ses supérieurs, et suivit la princesse ; pendant près de quatre ans, qu’il passa à voyager, tantôt il la rejoignait, tantôt il la quittait avec l’intention de ne plus la revoir ; il rougissait de sa faiblesse et la maudissait… mais rien n’y faisait. L’image de cette femme, cette image incompréhensible, presque dépourvue de sens, mais véritablement magique, s’était trop profondément imprimée dans son âme. Ils se revirent à Bade et leurs relations se rétablirent presque sur l’ancien pied ; elle semblait plus éprise de lui que jamais, mais cela dura un mois à peine ; la flamme qui venait de se ranimer s’éteignit pour toujours. Prévoyant une rupture inévitable, il voulut du moins rester son ami, comme si avec une pareille femme l’amitié était possible. Elle quitta Bade secrètement, et depuis ce jour évita constamment Paul. Il revint en Russie, essaya de reprendre son ancien genre de vie, mais ce fut en vain. Il était sans cesse en mouvement, et ne trouvait de repos nulle part ; il fréquentait pourtant les salons et avait conservé toutes les habitudes d’un homme du monde ; il pouvait même tirer vanité de deux ou trois nou-