Page:Tourgueniev - Pères et fils.djvu/67

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tude, elle lui demanda s’il ne pouvait pas indiquer un moyen de soulager sa fille qui venait d’être atteinte à l’œil par une étincelle partie du four. Kirsanof, comme tous les propriétaires vivant sur leurs terres, faisait de la médecine, et s’était même procuré une pharmacie homœopathique. Il dit à Arina de lui amener immédiatement Fénitchka. Celle-ci, lorsqu’elle sut que le maître la demandait, en fut très-effrayée ; pourtant elle suivit sa mère. Kirsanof la conduisit près d’une fenêtre et lui prit la tête à deux mains. Ayant bien examiné son œil rouge et enflammé, il prescrivit de le bassiner avec de l’eau qu’il prépara lui-même ; puis il déchira un morceau de son mouchoir, et montra comment il fallait s’y prendre. Lorsqu’il eut achevé, Fénitchka voulait se retirer. « Baise donc la main du maître, petite sotte, » lui dit Arina. Kirsanof ne la laissa pas faire ; et, tout confus lui-même, il la baisa sur la raie du front tandis qu’elle tenait sa tête penchée en avant. L’œil de Fénitchka ne tarda pas à guérir ; mais l’impression qu’elle avait produite sur Kirsanof ne s’effaça pas aussi promptement. Il lui semblait tenir encore entre ses mains ces cheveux fins et doux ; il croyait toujours voir cette figure blanche et pure, timidement levée en l’air, et ses lèvres entr’ouvertes laissant paraître des dents qui brillaient au soleil comme de petites perles. À partir de ce moment, il se mit à la regarder beaucoup plus attentivement le dimanche à l’église, et cherchait à lui parler. Elle répondit d’abord à ces avances avec sauvagerie ; et une fois,