Page:Tourgueniev - Pères et fils.djvu/75

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fant. Mais d’un autre côté Paul se mit à détester Bazarof de toutes les forces de son âme ; il le considérait comme un homme insolent, effronté, cynique, un vrai plébéien, qui avait peu d’estime pour lui, pour lui, Paul Kirsanof, et allait même peut-être jusqu’à le mépriser ! Son frère Nicolas craignait un peu le jeune nihiliste et doutait qu’il exerçât une heureuse influence sur Arcade ; mais il l’écoutait avec plaisir, et assistait volontiers à ses expériences de physique et de chimie. Bazarof avait apporté avec lui un microscope, et passait des heures entières l’œil sur cet instrument. Les domestiques s’étaient aussi habitués à Bazarof, quoiqu’il les traitât cavalièrement ; ils voyaient plutôt en lui un homme de leur bord qu’un maître. Douniacha ricanait volontiers avec Bazarof, et lui jetait à la dérobée des regards significatifs, lorsqu’elle passait en trottinant devant lui comme une petite caille ; Pierre, homme borné et pétri d’amour-propre, au front perpétuellement soucieux, dont les mérites étaient une attitude polie, savoir épeler, et brosser souvent sa redingote, se déridait et souriait même dès que Bazarof lui accordait la moindre attention ; les petits domestiques suivaient le docteur comme de jeunes chiens. Le vieux Prokofitch était le seul qui ne l’aimât point ; il le servait à table d’un air maussade, l’appelait équarrisseur, va-nu-pieds, et disait qu’avec ses longs favoris Bazarof ressemblait à un cochon dans un buisson. Prokofitch n’était pas moins aristocrate en son genre que Paul Petrovitch lui-même.