— Que lui faut-il donc, suivant vous ? À vous entendre, nous sommes en dehors de l’humanité, en dehors de ses lois. C’est un peu fort ; la logique de l’histoire exige…
— Qu’avons-nous besoin de cette logique-là ? Nous pouvons fort bien nous en passer.
— Comment ?
— Ah ! voici. Je pense que vous vous passez fort bien de logique pour porter un morceau de pain à votre bouche, lorsque vous avez faim. À quoi bon toutes ces abstractions ?
Paul leva les mains.
— Je ne comprends plus du tout, dit-il. Vous insultez le peuple russe. Je ne comprends pas que l’on puisse ne pas reconnaître des principes, des règles ! Qu’est-ce qui vous dirige donc dans la vie ?
— Je vous ai déjà dit, mon oncle, reprit Arcade, que nous ne reconnaissons aucune autorité.
— Nous agissons en vue de ce que nous reconnaissons pour utile, ajouta Bazarof : aujourd’hui il nous paraît utile de nier, et nous nions.
— Tout ?
— Absolument tout.
— Comment ? non-seulement l’art, la poésie, mais encore… j’hésite à le dire…
— Tout, répéta Bazarof avec une inexprimable tranquillité.
Paul le regarda fixement ; il ne s’attendait pas à cette réponse ; Arcade rougit de plaisir.