Page:Tournefort Voyage Paris 1717 T2.djvu/239

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vancions que dans le calme parfait, les vents du Nord que l’on apprehendoit tant, et la mer qui paroissoit toujours grosse à ces bons Musulmans, ne secoüoit pourtant pas nos bateaux bien fortement et n’empéchoit point les Saiques d’aller et de venir. Nôtre marche me faisoit souvenir de ces temps de mollesse que Mr Despreaux décrit si bien dans son Lutrin :

On reposoit la nuit, on dormoit tout le jour.

C’étoit là justement la vie de nôtre cour. On ne s’éveilloit que pour fumer, pour prendre du caffé, pour manger du ris et boire de l’eau ; on n’y parloit ni de chasse ni de pesche. Nous ne fîmes ce jour là que 12 milles à la rame, et nous abordâmes sur une plage dans un lieu charmant et rempli de belles plantes.

Le 26 May quelqu’un s’avisa, pour faire pester les Matelots, de dire que c’étoit un jour malheureux, c’en fut assez pour ne nous faire partir qu’aprés le disné ; ainsi l’heure de la priere étant venüe, il fallut relâcher à deux milles de Cerasonte, que les Grecs appellent Kirisontho. L’envie que nous avions de voir cette ville, me fit aviser de dire que le miel manquoit pour nos malades et qu’il falloit y en aller achetter. On dit que c’étoit un jour malheureux et que Dieu prendroit soin des malades. Nous nous en consolâmes par la découverte que nous fîmes d’une espece admirable de Millepertuis et certainement il n’y avoit qu’une aussi belle plante qui fût capable d’adoucir nos chagrins ; car à qui les compter dans un pays où l’on ne voyoit ni gens ni bêtes ? Quand nous ne trouvions pas de belles plantes, la lecture nous tenoit lieu de toute autre consolation.

Les vieux pieds de cette espece de Millepertuis ont la racine épaisse de deux ou trois lignes, dure, ligneuse, cou-