Page:Tournefort Voyage Paris 1717 T2.djvu/302

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passable ; mais il est puant, moisi, aigre, pourri ; le vin de Brie y passeroit pour du nectar ; l’eau de vie ne vaut pas mieux, elle est chancie et amere, encore en coûte-t-il bien des soins et de l’argent pour avoir ces boissons détestables. Les Turcs y affectent plus de sevérité qu’autre part, et se font un plaisir de surprendre et de bâtonner ceux qui font ce commerce : franchement ils n’ont pas trop de tord, car c’est rendre un grand service au public que d’empescher le débit d’aussi mauvaises drogues.

La ville d’Erzeron vaut mieux que celle de Trebizonde ; l’enceinte de cette premiere place est à doubles murailles deffenduës par des tours quarrées ou pentagones, mais les fossez ne sont ni profonds ni bien entretenus. Le Beglierbey ou le Pacha de la Province, est logé dans un vieux Serrail fort mal entendu. Le Janissaire Aga se tient dans une espece de Fort au haut de la ville. Quand le Pacha ou les personnes les plus considérables du pays vont dans ce Fort, c’est pour y laisser leurs testes. Le Janissaire les fait avertir de s’y rendre par ordre du Grand Seigneur : le Capigi arrivé de la Cour leur montre ses ordres et les execute sans autre cérémonie. On croit qu’il y a dix-huit mille Turcs dans Erzeron, six milles Armeniens, et quatre cens Grecs. On estime qu’il y a soixante mille Armeniens dans la Province, et dix mille Grecs. Les Turcs qui sont dans Erzeron sont presque tous Janissaires ; on y en compte environ douze mille, et plus de cinquante mille dans le reste de la Province. Ce sont presque tous gens de mêtier, qui la pluspart donnent de l’argent au Janissaire Aga bien loin d’en retirer ; cela s’appelle achetter le privilege de ne rien valoir et de commettre toutes sortes d’insolences. Les plus honnêtes gens sont obligez de s’engager dans ce corps, parce qu’outre qu’ils ne seroient pas bien venus du Commandant qui est presque abso-