Page:Tournefort Voyage Paris 1717 T2.djvu/332

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plus beaux du monde. Cela montre bien que toutes les terres n’ont pas le même suc nourricier. Celles de l’Archipel sont comme les Chameaux, elles boivent pour long-temps. Peut-être que l’eau est plus necessaire à celles d’Armenie, pour dissoudre le sel fossile dont elles sont impregnées, lequel détruiroit la tissûre des racines si ses petits grumeaux n’étoient bien fondus par un liquide proportionné ; aussi y laboure-t-on profondément. Quoique ces terres ne soient pas fortes on attele trois ou quatre paires de bœufs ou de bufles à une charruë, et c’est sans doute afin de bien mêler la terre avec le sel fossile qui resteroit en trop grande quantité sur la surface et brûleroit les plantes. Au contraire dans la Camargue d’Arles, qui est cette Isle si fertile que le Rhône enferme au-dessous de la ville, on ne fait qu’efleurer la terre en labourant pour ne pas la mêler avec le sel marin qui est au-dessous. Avec cette précaution la Camargue où il n’y a qu’un demi pied de bonne terre, est le pays le plus fertile de la Provence, et les Espagnols le nommérent Comarca par excellence, dans le temps que les Comtes de Barcelone en êtoient les maîtres. Comarca signifie chez eux un champ qui produit abondamment. Ainsi le mot de Camargue ne vient pas du Camp de Marius, comme l’on prétend, car ce Général Romain n’y a jamais campé. Le grand fossé qu’il fit faire pour fortifier son camp et pour y faire voiturer les munitions qu’il tiroit de la Mediterranée, se trouvoit, suivant Plutarque, entre le Rhône et Marseille. On découvre encore les traces de cet ouvrage du côté de Fos village auprés du Martigues qui a retenu le nom de la Fosse de Marius, et non pas celui des Phociens peuples d’Asie au-dessus de Smyrne, qui s’établirent à Marseille pendant les guerres des Perses et des Grecs. Mille pardons, Msgr, de cette digression ; nous