Page:Tournefort Voyage Paris 1717 T2.djvu/428

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de pierres noirâtres et fort dures. Il n’y a d’animaux vivans, qu’au bas de la Montagne et vers le milieu ; ceux qui occupent la premiere region, sont de pauvres bergers et des troupeaux galeux, parmi lesquels on voit quelques perdrix ; ceux de la seconde region sont des Tigres et des Corneilles. Tout le reste de la Montagne, ou pour mieux dire la moitié de la Montagne, est couverte de neige depuis que l’Arche s’y arrêta, et ces neiges sont cachées la moitié de l’année sous des nuages fort épais. Les Tigres que nous apperceûmes ne laisserent pas de nous faire peur, quoiqu’ils fussent à plus de 200 pas de nous, et qu’on nous assûrât qu’ils ne venoient pas ordinairement insulter les passans ; ils cherchoient à boire, et n’avoient sans doute pas faim ce jour-là. Nous nous prosternâmes pourtant dans le sable et les laissâmes passer fort respectueusement. On en tuë quelquefois à coups de fusil ; mais la principale chasse se fait avec des traquenards ou piéges, par le moyen desquels on prend les jeunes Tigres que l’on apprivoise, et que l’on mene promener ensuite dans les principales villes de Perse.

Ce qu’il y a de plus incommode dans cette Montagne, c’est que toutes les neiges fonduës ne se dégorgent dans l’abîme que par une infinité de sources où l’on ne sauroit atteindre, et qui sont aussi sales que l’eau des torrens dans les plus grands orages. Toutes ces sources forment le ruisseau qui vient passer à Acourlou, et qui ne s’éclaircit jamais. On y boit de la boüe pendant toute l’année, mais nous trouvions cette boüe plus délicieuse que le meilleur vin ; elle est perpetuellement à la glace, et n’a point de goû limoneux. Malgré l’étonnement où cette effroyable solitude nous avoit jettez, nous ne laissions pas de chercher ces Monasteres prétendus, et de deman-