Page:Tousseul - Aux hommes de bonne volonté, 1921.djvu/17

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ques-uns d’entre vous : ils doivent reconnaître qu’ils n’ont jamais eu d’élève plus attentif, plus curieux, plus extatique, plus discuteur parfois ! Je veux aujourd’hui vous écrire à tous ce que j’ai répété souvent à quelques-uns de vos camarades de l’Université que j’aime particulièrement.

Jeunes gens, je suis un autodidacte — on a dit que j’écrivais avec mon cœur plutôt qu’avec mon cerveau : cela est du reste rassurant, car seul le cœur est inépuisable : il s’aiguise chaque jour au contact des passants. Aux yeux des intellectuels, je porterai toute ma vie la tare de l’autodidaxie. Je suis un ignorant auquel un peu d’intuition a permis d’effleurer quelques questions de sciences. J’ai perdu beaucoup de choses en n’ayant pas eu de professeurs, j’y ai gagné une insatiabilité de savoir et j’ai gardé ainsi mon âme d’écolier : je suis resté le gamin de sept ans qui trouvait un miracle à chaque page de ses livres de classe. Aucune étude ne m’a lassé, parce que je n’ai eu ni le temps ni l’occasion d’étudier. Croyez bien que je souffre de cet exil et que certains noms sonnent à mes oreilles comme une fanfare : Poincaré, Perrier, Le Dantec, Grasset, Dastre, Bonnier, Ostwald, l’Institut, la Sorbonne, l’Université !… Ah ! les beaux livres que je n’ai pas toujours compris ! Et l’admiration que j’éprouve pour ces noms-là rejaillit sur vous, jeunes gens, qui les avez compris. L’autre jour, l’un des vôtres et moi, rencontrâmes un vieux savant de votre Université. Je me découvris respectueusement devant ce vieillard maniaque, distrait, inélégant, barbu, poudré de craie, et je le regardai s’éloigner avec l’admiration qu’on éprouve pour une femme singulièrement belle. Mon ami me raconta les extases du professeur devant ses découvertes inattendues, dans lesquelles on croirait ne trouver aucune émotion esthétique. Vous devez éprouver de