Aller au contenu

Page:Tousseul - Aux hommes de bonne volonté, 1921.djvu/24

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

anathèmes au nom d’un mensonge, les pièges, le bannissement, la prison, le gibet ? Qu’importent l’encensoir, les couronnes, si l’on ne se sent plus grand encore ? Il faut être orgueilleux pour être fort. Il faut se vaincre, se griser aux alcools de sa pensée, s’admirer, hisser son front très haut jusqu’au vertige et en faire rayonner, comme les faisceaux d’un phare, ses Idées, forces impalpables, mais éternelles.

Il faut être surhumain, multiplier ses appétits, aiguiser ses sens, tout dévorer, dresser en exemple son existence et qu’elle soit le reflet total de la vie qui bouillonne et brille en son cerveau.

Voici les conquérants entraînant leurs armées à travers les funèbres déserts pour s’emparer d’une terre promise, dont ils ont vu les villes d’or et les mers d’épis, un merveilleux matin de mirage. Voici les moines défricheurs dont les doigts ont saigné sur les manches d’outils et dans les buissons hostiles, pour conquérir un peu de terre et y semer le blé divin. Voici les fous qui ont jeté les ponts audacieux sur les fleuves. Voici les fous qui sont montés vers le soleil un matin clair, et qu’on retrouva désarticulés, hachés, pantelants, sous le cercueil qu’ils avaient construit de leurs mains et dont les ailes étaient déchirées. Voici les marins vagabonds, accrochés aux mâtures des galères, sentant, dans la tempête, les parfums d’une terre fabuleuse. Voici le chercheur des pôles, aveuglé par le rouge des météores et la blancheur des glaces, piquant son bâton dans l’axe du globe : demain, la débâcle l’emportera avec sa cabane, bien loin de sa conquête, ou la neige l’ensevelira. Voici les poètes, arrachant des mornes cuisines de la syntaxe les phrases vertigineuses, qui seront les fanfares des hommes. Voici les penseurs, hissés sur les tours d’où l’on voit grouiller les masses aveugles et lâches, ignorantes des laboratoires sociaux que