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DE NOBLESSE EN GENERAL. CHAP. IIII.

DE L’ORDRE DE NOBLESSE EN GENERAL.
Chapitre IIII.

1. Difference de la generoſité des hõmes auec celle des plantes & des beſtes.


PArmy quelques vnes des plantes & des beſtes, nature a fait d’elle meſme cette diſtinction, que d’vne meſme eſpece aucunes ſont franches & domeſtiques, autres agreſtes & ſauuages : qualitez, qu’elles retiennent infailliblement de leur generation : ſi que les ſauuages n’engendrent point les domeſtiques, ni au contraire. Auſſi eſt-ce naturellement, que les plantes & beſtes retiennent la qualité de leur ſemence, pour ce que leur ame vegetatiue ou ſenſitiue procede abſolument a poteſtate materiæ, diſent les Philoſophes. Mais l’ame raiſonable des hommes, venant immediatement de Dieu, qui la crée expres lors qu’il l’enuoye au corps humain, n’ha point de participation naturelle aux qualitez de la ſemence generatiue du corps, oú elle eſt colloquée.

2. Contre les Philoſophes & poëtes.

C’eſt pourquoy ie m’eſtonne, comment preſque tous les Philoſophes, & les Poëtes plus releuez, ne prenans garde a cette difference des Ames, ſe ſont fait accroire, qu’il y a certains principes ſecrets de vertu, qui ſont transferez des peres aux enfans par la generaciõ, teſmoin le ſaurites ou induction de Socrate, qui concluoit, que comme la pomme, le vin, & le cheual plus genereux, eſtoit le meilleur, ainſi eſt il de l’homme de plus noble race. Et Ariſtote au huictieſme chapitre du troiſieſme liure des Politiques dit, que parmy toutes nations la Nobleſſe eſt en honeur & eſtime, pour-ce qu’il en vray ſemblable que celuy-là ſoit excellent qui eſt n’ay de parens excellens, & partant il definit la Nobleſſe ἀρετιὼ τῶ γένους, vertu de race. Et quãt aux poëtes Homere dit de Telemachus, que la vertu de ſon pere Vlyſſe eſtoit inſtillée en luy, voulant dire que parmy ce peu de goutes de la ſemence de ſon pere, la ſubſtance de ſes vertus eſtoit decoulée en luy, qui ſont les propres termes de Plutarque dans Stobée. Et c’eſt auſſi ce qu’Horace nous chante.

Fortes creantur fortibus & bonis,
Eſi in iuuencis, eſt in equis patrum
Virtus : nec imbellem feroces
Progenerant aquilæ columbam.

3. Cauſes de la reſſemblace des peres aux enfans.

Qui eſt neantmoins vne fauce comparaiſon, & vne ſimilitude bien diſſemblable : auſſi veoit-on aſſez ſouuent, que les enſans des gens de bien ne valent gueres, & que ceux des hommes doctes ſont ignorans, teſmoin le prouerbe Grec ἡράαν τέκνα πόματα, Que ſi par foys leurs meurs ſe rencontrent a eſtre conformes a ceux de leurs peres, cela ne prouient pas de la generation, qui ne contribue rien aux ames, mais ſeulement de l’education : en laquelle a la verité les enfans des gens de bien ont beaucoup d’aduantage à la vertu : & a cauſe de la ſoigneuſe inſtruction qu’on leur donne, & par le moyen de l’exemple cõtinuel & pregnant qu’ils ont de leurs peres : & à l’occaſion de l’engagemẽt, qu’ils ont a ne point degenerer & démentir leur race : & finalement pour la creance & bonne reputation, que la memoire de leurs anceſtres leur a acquiſe.

4. Nobles en toutes natiõs diſtinguez des ignobles.

Tant y a que, ſoit pource qu’on les preſume heritiers de la vertu paternelle, ou pource qu’on veut encor recompenſer en eux le merite de cette vertu, c’eſt de tout temps & par toutes les nations du monde, que ceux qui ſont iſſus de bonne race ont eſté plus eſtimez que les autres : voire meſme qu’ils ont conſtitué vn certain Ordre & degré d’honeur ſeparé du ſurplus du peuple. Comme Denys d’Halicarnaſſe nous teſmoigne, que le peuple d’Athenes eſtoit ſeparé en ceux qu’il appelle εὐπατρίδας, & ceux qu’il nomme δημοτικοις diſant auſſi que cette meſme diuiſion fut ſuiuie a Rome par Romulus. Et certainemẽt il eſt bien vray qu’il diuiſa ſes ſubiets en Sénateurs (leſquels il appella Peres) & le peuple : Mais a ſucceſſion de temps les deſcendus de ces premiers Peres ou Senateurs