Aller au contenu

Page:Trevoux-1752-01-A-ANE.djvu/22

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


PRÉFACE.


OMME il n’y a point d’Ouvrage qui soit d’une utilité plus étendue & plus universelle qu’un Dictionnaire, on ne doit point être surpris qu’après ceux qui ont paru jusqu’ici, on en donne encore un nouveau. C’est un bien & un avantage pour le Public, qu’on s’attache à perfectionner de plus en plus cette partie de la Littérature qui en fait comme le fondement, & qu’on lui fournisse toujours de nouveaux secours pour écrire avec toute l’éxactitude & toute la pureté que demande un siècle aussi poli & aussi délicat que le nôtre, sur-tout en matiere de Langue, où aujourd’hui on ne pardonne rien.

Quelque habile qu’on puisse être de ce côté-là, & quelque usage que l’on ait, il est difficile qu’on ne soit quelquefois en doute sur un terme, sur une maniére de parler, sur la véritable signification d’un mot, sur les divers sens qu’il peut avoir, sur la maniére de le placer : il y a sur cela tant de variété, & si on l’ose dire, tant de bizarrerie dans notre Langue, aussi bien que dans toutes les autres, qu’on s’y trouve surpris tous les jours, & qu’on n’ose décider soi-même, sans se mettre en danger de se tromper. C’est pour cela qu’il n’y a point de Livre si correctement écrit, où l’on ne trouve toujours quelque chose à reprendre. On voit des Auteurs qui ne craignent point de hasarder, sur leur réputation, des expressions de génie, dont le brillant & le tour hardi impose quelquefois, mais qui n’étant point encore reçûes ni autorisées, ne doivent point servir de modéle. D’autres, à force de s’être rendu familiéres certaines façons de parler, se sont imaginé qu’elles étoient en usage, parce qu’ils s’y sont habitués, & qu’ils s’en sont fait un usage eux-mêmes. La connoissance des Langues sçavantes ou étrangères est encore un écueil pour plusieurs, qui, confondant ces idées différentes, transportent souvent dans leur Langue naturelle des tours & des maniéres de s’exprimer, qui ne sont propres que dans les Langues qu’ils ont apprises, & parlent souvent Latin, ou Italien en François. Enfin, ceux mêmes qui se sont le plus attachés à écrire puremement, & qui en font en quelque sorte leur capital, ne sauroient être si exacts, qu’ils ne donnent prise quelquefois à la Critique, & cela faute d’avoir une régle sûre qu’ils puissent consulter, & sur laquelle il y ait lieu de faire fonds. On a beau dire que c’est l’usage qui doit servir de régle dans les Langues vivantes, & qu’il vaut mieux que tous les Dictionnaires du monde ; cela est vrai, mais l’embarras est de connoître cet usage, & de sçavoir discerner le bon du mauvais. Dans toutes les contestations qui arrivent en cette matiére, chacun croit avoir l’usage de son côté, chacun le cite pour soi avec la même assûrance. Ainsi l’autorité de l’usage, quelque décisive qu’elle soit en fait de Langue, ne décidera jamais rien, tant que cet usage demeurera vague & indéterminé. Le point est donc de le fixer, & c’est ce que fait un Dictionnaire, & ce qui en montre la nécessité.

Or l’autorité de ces sortes d’Ouvrages, qu’on peut appeller Classiques, peut être fondée ou sur l’habileté de ceux qui les composent, ou sur la réputation & le mérite des


b ij