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c’est-à-dire, mon Pere. Tel est le sentiment de M. Simon, & de quelques autres Interpretes avant lui, comme Emmanuel Sa, Béze & Lightfoot. Leur raison est qu’il y a dans le Grec Ἀββἆ ὀ πατερ, & non pas ὦ πάτερ. Mais d’autres Interpretes, non moins habiles, tels que sont Mariada, Luc de Bruges, Cornelius à Lapide, Grotius, Louis Capell, &c. prétendent que cette répétition marque l’affection & la ferveur avec laquelle Jesus-Christ prioit. L’Interprete Syriaque a été dans ce sentiment, quand il a traduit אבא אבי, Pere ! mon Pere ! lui qui n’avoit pas besoin d’interpréter, ou d’expliquer le mot Syriaque Abba. Très-vraisemblablement c’étoit aussi la pensée de l’Interprete Arabe, lorsqu’au lieu de יא, dont il s’est servi en S. Matthieu, Chapitre XXVI, vers. 39 ; & en S. Luc, Chap. XXII, vers. 42, où il n’y a que Pater, ou Pater mi ; en S. Marc, où il y a Abba Pater, il a employé איהא, interjection plus forte & plus propre à faire sentir avec combien d’ardeur & d’empressement J. C. prioit. La version Éthiopienne suppose aussi que J. C. dit ces mots ; car elle traduit Wajaba, Aba waabouy. Et il dit, Pere ! & Mon Pere ! D’ailleurs, dans les explications ou interprétations des mots, l’Ecriture met toujours ὁ ἐστί, ou bien ὁ ἐστί, μεσθερμηνευόμενον ; c’est-à dire, ou ce qui s’interpréte ; & non pas simplement comme ici. Voyez Math. I. 23. Marc, V. 41. XV. 22, 34. Jean, I. 39, 42, 43. IX. 7. Act. IV. 36. IX. 36. Après tout, dans une version je mettrois, Abba, mon Pere ! Déterminer si c’est là l’explication ou non, c’est le fait du Commentateur, & non du Traducteur. Quoique ces deux mots Abba, Pere, soient la même chose, tant dans saint Marc que dans saint Paul au Ch. VIII, de l’Epître aux Rom. vers. 15 ; & au Chap. IV, de l’Epître aux Galates, vers. 6 ; il n’y a cependant point de pléonasme dans cette expression. Les Evangélistes & les Apôtres ont conservé dans leurs Ecrits plusieurs mots Syriacs qui étoient en usage ; & comme ils écrivoient en Grec, ils ont en même temps ajouté l’interprétation de ces mots en langue Grecque. C’est sur ce pied-là qu’au Chap. XIII des Actes des Apôtres, vers. 8, où il y a dans notre Vulgate, conformément à l’original Grec, Elymas magus, Mess. de P. R. & le P. Amelotte ont fort bien traduit, Elymas, c’est-à-dire, le Magicien. Ces autres paroles qui suivent immédiatement après (car c’est ce que signifie Elymas) confirment ce qu’on vient de dire, touchant la signification de Abba Pater ; ce qui a été remarqué par S. Jérôme dans son Commentaire, sur le Chap. IV. de l’Epître aux Galates, où il explique fort bien ces mots Abba Pater. Le nom de Ab, ou Abba, qui dans les commencemens étoit un mot de tendresse & d’amour dans la langue Hébraïque ou Chaldaïque, devint ensuite un nom de dignité & un titre d’honneur ; les Docteurs Juifs affecterent ce titre, & un de leurs plus anciens Livres, qui contient diverses sentences ou apophthegmes de leurs Peres, est intitulé Pirke Abbot, ou Avoth ; c’est-à-dire, Chapitre des Peres. C’est par rapport à cette affectation, que J. C. dans S. Mathieu, Chap. XXIII. vers. 9, dit à ses disciples : N’appellez personne sur la terre votre Pere : car vous n’avez qu’un Pere qui est dans le Ciel. Saint Jérôme se sert de ces paroles de Jesus-Christ contre les Supérieurs des Monastères de son temps, qui prenoient le titre de Peres ou Abbés. Il dit, expliquant ces paroles de saint Paul, Abba Pater, dans son Commentaire sur l’Epître aux Galates, Chap. IV. Je ne sais par quelle licence le titre de Pere ou Abbé a été introduit dans les Monastères, Jesus-Christ ayant défendu expressément que qui que ce soit prît ce nom, parce qu’il n’y a que Dieu seul qui soit notre Pere. Mais comme Jesus-Christ a plutôt condamné la vaine gloire des Juifs, qui prenoient la qualité de Peres, que le nom de Pere, il n’est pas surprenant que les Chefs ou Supérieurs des Monastères l’aient pris dès les premiers établissemens des Moines.

Le nom d’Abbé est donc aussi ancien que l’institution des Moines. Ceux qui les gouvernerent, prirent le nom d’Abbés & d’Archimandrites. Ce nom s’est toujours conservé depuis dans l’Église : & comme ils étoient eux-mêmes Moines, ils étoient distingués du Clergé, avec lequel cependant on les mêloit quelquefois, parce qu’ils tenoient un rang au-dessus des laïcs. S. Jérôme écrivant à Héliodore, nie absolument que les Moines soient du Clergé : Alia, dit-il, Monachorum est causa, alia Clericorum. Il reconnoît néanmoins que les Moines n’étoient pas exclus par leur profession des emplois Écclésiastiques. Vivez, dit-il dans sa Lettre au Moine Rusticus, d’une manière que vous puissiez mériter d’être Clerc ; & si le peuple ou votre Evêque jette pour cela les yeux sur vous, faites ce qui est du devoir d’un Clerc.

Les Abbés ou Archimandrites, dans ces premiers temps étoient soumis aux Évêques & aux Pasteurs ordinaires ; & comme les Moines vivoient alors dans des solitudes éloignées des villes, ils n’avoient aucune part aux affaires Ecclésiastiques. Ils alloient à la Paroisse avec le reste du peuple ; & quand ils en étoient trop éloignez, on leur accordoit de faire venir chez eux un


Prêtre pour leur administrer les Sacremens. Enfin, ils eurent la liberté d’avoir des Prêtres qui fussent de leur Corps. Souvent l’Abbé ou l’Archimandrite étoit Prêtre ; mais ces Prêtres ne servoient qu’aux besoins spirituels de leurs Monastères. Quelque pouvoir que les Abbés eussent sur leurs Moines, ils étoient soumis aux Évêques, qui avoient beaucoup de considération pour eux, sur-tout après les services qu’ils rendirent aux Églises d’Orient. Comme il y avoit parmi eux des personnes savantes, ils s’opposerent fortement aux Hérésies naissantes ; ce qui fit que les Évêques jugerent à propos de les tirer de leurs solitudes. On les mit dans les fauxbourgs des villes, pour être plus utiles aux peuples. S. Chrysostôme jugea même à propos de les faire venir dans les villes ; ce qui fut cause que plusieurs s’appliquerent aux Lettres, & se firent promouvoir aux Ordres. Leurs Abbés en devinrent plus puissans, étant considérés comme de petits Prélats. Mais quelques Moines qui se crurent en quelque manière indépendans des Évêques, se rendirent insupportables à tout le monde, même aux Évêques, qui furent obligés de faire des Loix contre eux dans le Concile de Chalcédoine. Cela n’empêcha pas que les Abbés, ou Archimandrites, ne fussent fort considérés dans l’Église orientale, où ils ont toujours tenu un rang distingué, & ils y ont même été préférés aux Prêtres. Ils ont eu séance dans les Conciles après les Évêques.

La dignité d’Abbé n’est pas moins considérable aujourd’hui qu’elle l’a été autrefois. Selon le Droit commun, tout Abbé doit être régulier ou Religieux ; parce qu’il n’est établi que pour être le Chef & le Supérieur des Religieux : mais selon le Droit nouveau, on distingue deux sortes d’Abbés ; sçavoir, l’Abbé régulier, & l’Abbé commendataire. Le premier, qui doit être Religieux, & porter l’habit de son Ordre, est véritablement Titulaire. Le second est un séculier, qui est au moins tonsuré, & qui par ses Bulles, doit prendre l’ordre de la Prêtrise quand il aura atteint l’âge. Quoique le mot de Commendataire insinue qu’il n’a l’administration de l’Abbaye que pour un temps, il en possede néanmoins les fruits à perpétuité, étant entièrement substitué aux droits des Abbés réguliers ; ensorte que l’Abbé Commendataire est véritablement Titulaire par ses Bulles, où on lui donne tout pouvoir tàm in spiritualibus quàm in temporalibus, c’est-à-dire, tant au spirituel qu’au temporel ; & c’est pour cette raison qu’il est obligé par les mêmes Bulles, de se faire promouvoir dans le temps à l’ordre de Prêtrise. Cependant les Abbés Commendataires ne font aucunes fonctions pour le spirituel ; ils n’ont aucune juridiction sur les Moines. Et ainsi ce mot in spiritualibus, qu’on emploie dans les Bulles, est plutôt du style de Rome, qu’une réalité. Les plus savans Jurisconsultes de France, & entre autres du Moulin & Louet, mettent la Commende inter titulos Beneficiorum ; c’est-à-dire, entre les titres de Bénéfices. Ce sont des titres Canoniques qui donnent aux Commendataires tous les droits attachés à leurs Bénéfices. Mais comme ces provisions en commende sont contraires aux anciens Canons, il n’y a que le Pape seul qui puisse les accorder par une dispense de l’ancien Droit. Voyez le mot de Commende & Commendataire. Voyez aussi les Acta sanct. Benedict. fæc. III. p. I. præf. p. 89 & suiv.

Les Abbés Commendataires étant séculiers, n’ont aucune juridiction sur les Moines. Quelques-uns néanmoins prétendent que les Cardinaux, dans les Abbayes qu’ils ont en commende, ont le même pouvoir que les Abbés Réguliers. On donne pour exemple M. le Cardinal de Bouillon, qui, en qualité d’Abbé Commendataire de Cluny, avoit le gouvernement spirituel de tout l’Ordre de Cluny, comme s’il en eût été Abbé Régulier. On répond à cela, que M. le Cardinal de Bouillon ne jouissoit pas de cette juridiction spirituelle en qualité de Cardinal, Abbé Commendataire ; mais par un Bref particulier du Pape. M. le Cardinal d’Estrées, Abbé Commendataire d’Anchin en Artois, ayant voulu jouir de ce même droit à l’égard des Religieux de cette Abbaye, en fut exclus par un Arrêt du Grand Conseil, daté du 30 Mars 1694. L’obligation principale d’un Abbé Commendataire est de procurer par toutes les voies possibles la gloire & le service de Dieu dans la Communauté dont il se trouve chargé. Ab. de la Tr.

Il n’y a que les Abbés Réguliers que l’on bénisse ; les Commendataires ne l’ont jamais été. Cette bénédiction, qui s’appelle aussi consécration, se faisoit autrefois, en les revêtant de l’habit appellé cuculla, coulle, en leur mettant en main la crosse ou bâton pastoral, & aux pieds la chaussure appellée pedales, ou pedules, qui étoient des bandelettes propres à entourer le pied. C’est de l’Ordo Romanus de Théodore Archevêque de Cantorbery, dans sa Collection des Canons, & de la Vie de saint Anselme, que nous apprenons ces particularités. Le pouvoir que quelques Abbez ont de donner la tonsure, n’appartient aussi


qu’aux