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xij PREFACE.


Canada, & Konigsberg en Prusse, parce que ces trois lieux signifient & se nomment Regius Mons. Importe-t-il plus de savoir le nom d'un oiseau & d'un serpent de l'Amérique, d'un fruit de Perse, ou d'une plante de la Chine, ou de l'Afrique, d'en avoir des descriptions exactes, qui les caractérisent bien, que de savoir distinguer les noms des hommes & des lieux, que nous avons sans cesse à la bouche, dont nos Histoires & nos Livres sont pleins, & que nos Ecrivains souvent expriment mal ? Où trouvera-t-on mieux, & plus aisément, ces différences & les remarques qu'il faut faire sur cela, que dans un Dictionnaire ? N'est-ce pas là leur place naturelle ? Quel embarras ! quel travail que d'avoir à les chercher ailleurs ? Qui a tous les Livres nécessaires pour s'en instruire ? Combien de gens d'étude, d'Avocats, d'Antiquaires, de ceux qui sont obligés de lire d'anciens Titres, des Chartes, de vieux Auteurs, seront-ils ravis qu'on leur épargne cette peine ? Enfin combien y a-t-il de phrases & de façons de parler populaires ou proverbiales, qui dépendent de la connoissance de ces mots, & dans lesquels ils entrent, comme on le peut voir aux noms, CELERIN, GILLES, GILLETTE, BASQUE, CAORSIN, MANSEAU, NORMAND, GASCON, ORLEANS, BERRY, NORMANDIE, &c.

On dira peut-être au regard des noms de lieu, que nous avons des Dictionnaires de Géographie où ils se trouvent. Mais outre que ces Livres n'entrent point ou presque point dans ce qui concerne la Grammaire, nous avons aussi des Dictionnaires des Arts en général, & en particulier des Dictionnaires d'Antiquités, de Marine, de Droit, de Musique, de Philosophie hermétique, de Manege, de Mathématiques, d'Agriculture, &c. Exige-t-on moins pour cela que tous les termes de ces Arts se trouvent rassemblés dans un Dictionnaire Universel ? Et n'est-ce pas parce que le Dictionnaire de Trevoux les comprend & les explique exactement tous, qu'il a été si recherché, quoiqu'on eût déja tous ces autres Dictionnaires particuliers ?

Enfin c'est principalement par la connoissance des noms propres, que l'on apprend bien les origines, & les principes d'une Langue, & que l'on se rend habile dans la science des étymologies. On ne sait souvent d'où viennent les autres mots, on ne peut douter de la source de ceux-ci. On voit quelles sont les lettres que l'usage y change, en quoi il les change, celles qu'il retranche ou qu'il ajoûte ; c'est là principalement qu'on remarque son art, sa méthode, &, si je puis ainsi parler, ses allures & ses façons de faire ; de quelle maniere il travaille sur les mots ; comment il les fond & les refond, les moule, les façonne, & se les approprie. Ainsi tout conspire à montrer qu'il ne faut point omettre les mots dont nous parlons.

Véritablement quelques Auteurs, je ne sai par quelle mauvaise délicatesse, ou par la vaine crainte de s'opposer à une coutume qu'ils ont trop respectée, parce qu'ils l'ont peut-être crû plus générale & plus raisonnable qu'elle n'est en effet, n'ont osé donner place dans le corps de leurs Ouvrages à cette partie de la Langue qu'ils enseignent. Persuadés pourtant qu'ils ne la devoient pas oublier, ils ont fait des listes des noms propres d'hommes & de lieu, & comme un second Dictionnaire qu'ils ont placé à la fin du premier. Mais à quoi bon ce nouveau Dictionnaire ? Si ces mots sont étrangers à la Langue, pourquoi ne les pas rejetter tout-à-fait ? s'ils ne le sont pas, & s'ils ne doivent pas être oubliés, pourquoi ne les pas ranger dans leur ordre naturel ? Quelle nécessité de donner au Lecteur l'embarras de chercher en deux endroits différens, & quelquefois en divers volumes, ce qu'il devroit trouver dans la même page ?

Telles sont à peu près les raisons qui nous ont persuadé qu'on avoit droit de nous demander ces augmentations, & que le Public ne le désagréeroit pas. Peut-être même nous saura-t-il moins de gré de la peine que nous nous sommes donnée pour lui ramasser ce que nous lui présentons en ce genre, qu'il ne nous blâmera de ne lui en donner pas davantage. Car après tout, nous n'avons pas crû devoir embrasser généralement tous les noms propres, ni déférer entierement à l'opinion de quelques-uns de ceux qui ont envoyé des Mémoires, & qui eussent voulu, ce semble, qu'on eût recueilli jusqu'aux noms des moindres Villages, & des plus petits lieux. Nous avons pris un milieu qui


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