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DICTIONNAIRE
UNIVERSEL,
CONTENANT TOUS LES MOTS
DE LA
LANGUE FRANÇOISE ;
DES SCIENCES ET DES ARTS,
Avec les Termes Latins qui y peuvent convenir.

A. A.

A est la première Lettre de l'Alphabet François. Elle répond entièrement à la Lettre A des Latins, qui est, comme Jules Scaliger l'a remarqué, le premier son articulé que la nature pousse, le premier cri des enfans, & qui n'a point besoin d'autre mouvement que de celui d'ouvrir la bouche.

C'est inutilement que la plûpart des Grammairiens comparent la Lettre a des Latins & des François, avec l' aleph des Hébreux & l' eliph des Arabes ; parceque ces deux Lettres n'ont aucun rapport avec notre a, si ce n'est qu'elles sont les premières dans l'Alphabet Hébreu & dans celui des Arabes ; mais elles ne sont pas des voyelles comme dans la Langue Françoise. La lettre aleph n'est ni une consonne, ni une voyelle ; mais elle répond à ce que les Grammairiens appellent esprit. Et c'est ce qui a fait dire à Vossius que chez les Hébreux l' aleph, le he, le heth, le hain, ne sont point proprement des Lettres, mais des esprits ; en sorte que l' aleph est ce qu'on nomme communément spiritus lenis, un esprit doux. Pour parler donc exactement, ce sont des Lettres qui servent d'aspiration, pneumatica littera, comme la Lettre H en notre Langue & dans la Latine. Aussi est-ce de cette maniere que S. Jérôme s'explique en parlant de ces quatre lettres, lorsqu'il est exact ; ce qu'il avoit sans doute appris des Juifs de Tiberiade, qui avoient une connoissance parfaite de la Langue Hébraique. Cette lettre A étoit aussi chez les Anciens une lettre numérale qui signifioit 500. comme on le voit dans Valerius Probus. Voyez sur ces prétendues lettres numérales ce qu'on en a remarqué sur la lettre e. Il y a des vers anciens rapportés par Baronius, qui marquent les lettres significatives des nombres, dont le premier est :

Possidet A numeros quingentos ordine recto.

Quand on mettoit un titre ou une ligne droite au-dessus de l'A, il signifioit cinq mille. Les Ro-


mains l'appelloient lettre salutaire, parce qu'on s'en servoit pour déclarer innocent celui qui étoit accusé. A vouloit dire absolvo, je l'absous.

Cette lettre a diverses significations. Cependant il en faut éviter la rencontre trop fréquente dans une même période. Quelquefois cette répétition rend le discours rude & moins agréable.

C'est quelquefois un substantif masculin. Cet A est mal formé. On dit par une façon de parler proverbiale : il n'a pas fait une panse d'a, pour dire, il n'a pas formé une seule lettre, & figurément, il n'a fait quoi que ce soit. On dit aussi dans la conversation familière : Il ne sait ni A ni B, pour exprimer un ignorant.

Ci-dessous gît Mr l'Abbé,

Qui ne savoit ni A ni B. Menag.

C'est aussi la troisième personne du verbe auxiliaire avoir. Il a fait de l'éclat mal-à-propos. L'imagination du Poëte n'a pu vous peindre si belle que vous êtes. Voit. La vérité, qui a des bornes, a dit pour vous tout ce que le mensonge, qui n'en connoît point, a inventé pour les autres. S. Evr. Dans cette signification l'on n'y met point d'accent, ni quand il est précédé de la particule y ; car alors il a la force du verbe substantif être. Il y a un Dieu. Par tout ailleurs on le marque d'un accent grave.

Cette lettre exprime presque tous les mouvemens de l'ame ; & pour rendre l'expression plus forte, on y ajoûte un h après, comme dans l'admiration : Ah le beau tableau ! Dans la joie : Ah quel plaisir ! Dans l'indignation : Ah le scélérat ! Dans la douleur : Ah la tête ! Quand on se sent affoiblir : Ah je me meurs ! Dans la contestation : Ah ! Monsieur, pour ce vers je vous demande grace. Boil. Dans l'étonnement : Ah perfide !

A sert souvent à decliner les noms propres & en marque le datif. Ce Livre est à Pierre ; cet évantail est à Agnès. Presque tous ceux qui ont composé des Grammaires Françoises ont mis la lettre A au nombre des articles, quand elle est employée devant les noms propres pour en marquer le datif. Mais ces Grammairiens ne parlent pas exactement. Car on ne met point d'articles


devant les noms propres. Quand donc la lettre A jointe à un nom est la marque du datif, c'est une simple particule ou préposition ; & lorsqu'on y ajoûte le ou la, ou la simple lettre l' avec une contraction, c'est alors un article joint à cette particule, & qui est la même chose que ille & illa des Latins. Il en est de même de au & de aux ou comme l'on écrivoit autrefois aulx. Notre Langue a changé la lettre l en u.

On doit raisonner de la même manière sur la particule de, qu'on appelle mal à propos l' article du génitif, car c'est une simple particule, & quand on y joint l'article on dit du, qui est le del des Italiens. L'Auteur judicieux de la Grammaire raisonnée a fait cette distinction de simple particule & d'article, lorsqu'il dit, p. 48. On se sert d'une particule dans toutes les Langues vulgaires pour exprimer le génitif, comme est de dans la nôtre. Il ajoûte p. 49. en parlant du datif : les Langues vulgaires marquent ce cas par une particule, comme est a en la nôtre. Au chap. 7. de la même Grammaire il a très-bien remarqué, que presque dans toutes les Langues on a inventé de certaines particules nommées articles, qui déterminent la signification des noms. Il dit de plus parlant de l'article le, que le génitif & le datif se fait toujours au pluriel & souvent au singulier par une contraction des particules de & à, qui sont les marques de ces deux cas, avec le plurier les, & avec le singulier le ; au plurier on dit toûjours au génitif des par contraction, pour de les ; des Rois, pour de les Rois ; au datif aux pour à les ; aux Rois, pour à les Rois. On se sert de la même contraction & du même changement d' l en u au génitif & au datif singulier, aux noms masculins qui commencent par une consonne. Car on dit du, pour de le ; du Roi, pour de le Roi ; au, pour à le ; au Roi, pour à le Roi. Dans tous les autres masculins qui commencent par une voyelle, & tous les féminins generalement, on laisse l'article comme il étoit au nominatif, & on ne fait qu'ajoûter de pour le génitif, & à pour le datif ; l'état, de l'état, a l'etat : la vertu, de la vertu, a la vertu, Gram. rais. pag. 53.

A sert à marquer 1. La situation : A droit, à gau-


Tome I. A chez